e-Lettre Climeri-France & TRACCS - Janvier 2025
L'édito du comité éditorial
La E-Lettre CLIMERI-France se transforme et devient une E-Lettre CLIMERI-France & TRACCS
Le PEPR TRACCS est en train de transformer le paysage de la modélisation du climat et de ses changements en France. Bien que les périmètres et raisons d’être soient différents, l’infrastructure de recherche (IR) CLIMERI-France constitue un socle sur lequel se construit TRACCS et auquel TRACCS apporte des moyens. Il est apparu nécessaire de ne pas dupliquer les efforts et de proposer un format de E-Lettre commun couvrant l’ensemble des thématiques portées par TRACCS et CLIMERI-France. Les lecteurs déjà abonnés à la E-Lettre CLIMERI-France auront ainsi plus d’informations sur les réflexions autour des services climatiques, le développement du cœur des modèles et des méthodologies qui constituent un point fort de TRACCS et ne sont pas directement dans le périmètre de l’IR. Inversement, les lecteurs des newsletters TRACCS pourront suivre la coordination nationale scientifique et technique autour des grands exercices de modélisation globale ou régionale, les enjeux associés à la plateforme d’analyse nationale, les codes communautaires, les groupes de travail ou groupes de recherche qui ne font pas partie de l’activité TRACCS. Les rubriques concernant les projets internationaux, européens ou nationaux liés resteront d’actualité. Ce regroupement doit permettre une bonne complémentarité dans les différents canaux de diffusion de l’activité scientifique de modélisation du climat auprès des parties prenantes et différents types de public.
Pour ce premier numéro joint, nous avons choisi de mettre TRACCS au cœur du sujet. L’objectif est d’offrir un panorama de TRACCS à un moment où les rouages du projet TRACCS sont en place et où les activités scientifiques prennent forme. Quelques éléments réflexifs donnent également un aperçu des raisons des directions choisies pour chacun des projets ciblés (PC) de TRACCS. Le premier appel d’offre est lancé, ce qui donne aussi l’occasion d’en rappeler les thèmes scientifiques et la façon dont ils complètent l’activité en cours de TRACCS.
Au-delà de TRACCS, ce numéro se fait aussi l’écho de DEPHY qui est devenu en 2024 un groupe de recherche de CLIMERI-France. L’activité de CLIMERI-France est un miroir direct et une contribution nationale aux activités de modélisation du programme mondial de recherche sur le climat (PMRC). Ce numéro reflète quelques avancées récentes des projets CORDEX pour les simulations régionales et CMIP pour la nouvelle phase qui mobilise dès à présent de nombreuses ressources. Le groupe CLIMERI-Tech précise quelques points importants concernant les simulations et les bases de données associées. Le groupe évaluation de CLIMERI présente ses conclusions qui serviront de base à la prochaine phase de réflexion sur ce sujet entre les acteurs nationaux. Enfin, les projets européens ESM2025, Impetus4Change, OptimESM et TIPESM font l’objet de contributions montrant le cadre européen des activités scientifiques portées par TRACCS et CLIMERI-France.
Nous tenons à remercier nos collègues qui ont pris du temps pour contribuer à cette E-Lettre et espérons que ce numéro répondra aux attentes.
Le comité éditorial de la E-Lettre CLIMERI-France & TRACCS :
Sandrine Anquetin1, Pascale Braconnot2, Julie Deshayes3, Gaël Durand4, Nicolas Jourdain4, Masa Kageyama2, Benoit Meyssignac5, Catherine Michaut6, Samuel Morin7, David Salas y Melia7, Laurent Terray8, Lina Vigneron9
- Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE)
- LSCE-IPSL
- LOCEAN-IPSL
- Université Grenoble-Alpes
- Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS)
- IPSL
- CNRM, Météo-France, CNRS
- CERFACS
- CNRS-INSU
- Pour télécharger la version .pdf de la E-Lettre CLIMERI-France & TRACCS - janvier 2025, cliquez ici.
PEPR TRACCS
TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
Lancé le 29 mars 2023, le programme de recherche TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS - vise à soutenir le développement des modèles de climat pour leur adaptation aux prochaines infrastructures de calcul et aux opportunités qu’elles offriront, mais aussi qu’ils puissent être utilisés pour répondre aux défis scientifiques et aux attentes sociétales en termes d’actions d’atténuation et d’adaptation aux impacts et risques climatiques.
Porté conjointement par le CNRS et Météo-France, TRACCS est l’un des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoires bénéficiant d’un financement dans le cadre du plan d’investissement France 2030. Avec un budget total de 51 M€ sur 8 ans, dont 10 M€ d’appels à projets, le PEPR TRACCS, aussi nommé PEPR Climat, représente un effort sans précédent dans le domaine de la recherche en sciences du climat et une opportunité exceptionnelle pour élargir la communauté scientifique et préparer son renouvellement.
L’année 2023 et la première moitié de 2024 ont été dédiées au lancement des activités de TRACCS, notamment des dix projets ciblés (PC) qui constituent l’ossature scientifique et technique du programme, et à la première assemblée générale :
- 19 et 20 octobre 2023 : lancement du PC2 INVEST
- 28 et 29 novembre 2023 : lancement du PC9 ISCLIM
- 17 au 19 janvier 2024 : 1ère assemblée générale TRACCS, incluant l’assemblée générale de l’infrastructure de recherche CLIMERI-France
- 18 et 19 janvier 2024 : lancement du PC10 LOCALISING
- 8 et 9 février 2024 : lancement du PC4 EXTENDING
- 3 au 5 avril 2024 : lancement des PC6 QUINTET et PC7 IMPRESSION-ESM
- 3 mai 2024 : première réunion du Comité Scientifique et des Parties Prenantes (Scientific and Stakeholder Advisory Board - SSAB), réunissant 12 personnalités francophones de tous horizons pour apporter un regard et des retours sur les activités du programme
- 15 au 17 mai 2024 : lancement des PC1 DIALOG et PC3 DEMOCLIMA
- 13 et 14 juin 2024 : lancement du PC8 CYCL-ESM
- 26 et 27 juin 2024 : lancement du PC5 COMPACT
Le premier appel à projets TRACCS, visant à compléter les activités de recherche des projets ciblés, a été ouvert le 14 juin 2024. Il s’adressait notamment à des projets collaboratifs ambitieux et à des projets personnels de début de carrière centrés sur 4 thématiques : approches inter et transdisciplinaires pour le développement des services climatiques ; évaluation des méthodes d’interventions climatiques ; Intelligence Artificielle (IA) pour la modélisation du climat ; évaluation des modèles de climat et/ou des services climatiques. Suite à une présélection des lettres d’intentions, un atelier collaboratif organisé les 16 et 17 octobre 2024 a permis d’encourager les synergies entre candidats et de recentrer les collaborations sur les axes identifiés. Les projets complets sont attendus pour le 4 février 2025.
Aujourd’hui, TRACCS prépare son Assemblée Générale 2025, prévue à Grenoble du 4 au 6 février, en marge de laquelle se tiendront des réunions annuelles de plusieurs projets ciblés. La communauté TRACCS s’élargit régulièrement : déjà une trentaine de collègues ont été recrutés sur financements TRACCS et une vingtaine sont en cours de recrutement, plus de 300 membres sur la liste de diffusion interne et près de 650 inscrits aux newsletters mensuelles de TRACCS, et bientôt 1 000 abonnés à la page LinkedIn du programme ! Les activités de recherche de TRACCS ont déjà débouché sur plusieurs publications disponibles sur HAL, et 13 webinaires mensuels TRACCS portant sur les questionnements, controverses, idées et résultats scientifiques autour de la modélisation du climat et des services climatiques sont disponibles en replay.
Masa Kageyama1, Samuel Morin2, Lina Vigneron3
- LSCE-IPSL
- CNRM, Météo-France, CNRS
- CNRS-INSU
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TRACCS s’organise autour de deux axes de travail : « Mobiliser les sciences du climat pour le développement des services climatiques » et « Défis scientifiques et techniques pour la modélisation du climat », correspondants peu ou prou à une structuration selon les objets des groupes de travail WG2 (Impacts, risques et vulnérabilités) et WG1 (Bases physiques du changement climatique) du GIEC.
Ses activités sont principalement implémentées par dix projets ciblés (PC), allant de l’amélioration de la fiabilité des modèles de climat et du développement de méthodes de quantification d’incertitudes, de descente d’échelle et de corrections de biais jusqu’à l’élaboration de prototypes de services climatiques co-construits avec les parties prenantes concernées, en explorant également les avancées technologiques et scientifiques (nouvelles architectures de calcul, intelligence artificielle…) qui ouvrent de nouvelles perspectives pour les sciences du climat. Ces projets ciblés seront complétés par des projets retenus suite aux appels à projets TRACCS.
TRACCS-PC1-DIALOG : Faciliter le dialogue entre les porteurs d’enjeux et la communauté scientifique pour un développement de services climatiques durables Dans le contexte de co-construction des services climatiques, DIALOG facilite la collaboration entre parties prenantes et chercheurs. Ses objectifs incluent la co-élicitation des besoins et leur traduction en questions scientifiques, l’appropriation des services climatiques et le renforcement de la confiance dans leur fourniture, ainsi que le développement de méthodes pour les services de conseil en adaptation.
TRACCS-PC2-INVEST : Faciliter l’accès aux nouvelles données climatiques et méthodes Compte tenu de l’augmentation prévue des volumes et de la diversité de données climatiques, INVEST vise à fournir des infrastructures partagées robustes et durables pour regrouper, homogénéiser, et porter à connaissance les données, outils, et méthodes d’analyse développés dans le cadre de TRACCS aux acteurs scientifiques et sociétaux.
TRACCS-PC3-DEMOCLIMA : Produire des démonstrateurs de services et d’informations climatiques pour l’adaptation dans différents territoires et secteurs DEMOCLIMA produira une série de démonstrateurs de services et d’informations climatiques pour l’adaptation dans différents territoires et secteurs en France, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Ces démonstrateurs seront des preuves de concepts de services climatiques efficaces, opérationnels, et suffisamment génériques pour être appliqués à des systèmes et contextes similaires aux études de cas sélectionnées. Chaque étude de cas est définie par un territoire, un système socio-écologique pour un secteur d’intérêt, et un besoin de services climatiques exprimé par les acteurs du système.
TRACCS-PC4-EXTENDING : Modéliser, projeter et étudier les événements extrêmes et leurs évolutions en changement climatique EXTENDING développe des méthodes et modèles pour caractériser avec précision les événements climatiques à faible probabilité mais à forts impacts potentiels (vagues de chaleur, sécheresses, tempêtes…), leurs évolutions futures, et l’attribution de ces événements extrêmes au changement climatique. Les résultats permettront de fournir des informations adaptées à un large éventail de parties prenantes sociétales, économiques et environnementales, afin d’aider à planifier l’adaptation et de faciliter des débats éclairés sur l’atténuation.
TRACCS-PC5-COMPACT : Paradigmes informatiques pour des modèles climatiques efficaces, modulaires et entraînables COMPACT vise à transformer les modèles français du système Terre actuels, notamment pour les rendre plus «composables» et compatibles avec l’intelligence artificielle, afin d’améliorer la précision des prévisions climatiques. Ces actions se concentreront sur trois axes : performances HPC, modularité, et hybridation IA, afin de garantir l’intégration de ces innovations dans les futures versions des modèles de climat nationaux et de former la prochaine génération d’experts.
TRACCS-PC6-QUINTET : Quantification des incertitudes, tuning et mise à l’équilibre des modèles de climat QUINTET s’intéresse aux questions scientifiques et techniques relatives aux incertitudes des modèles climatiques (calibration des paramètres, initialisation des simulations, et les incertitudes liées à la résolution spatiale des modèles), et à leur prise en compte dans les simulations du climat actuel et les projections futures. L’objectif est de faciliter l’exploration de l’incertitude paramétrique et de préparer les modèles climatiques à des configurations à plus haute résolution.
TRACCS-PC7-IMPRESSION-ESM : Améliorer le cœur physique des modèles du système Terre IMPRESSION-ESM vise à améliorer la représentation de la physique du climat dans les deux modèles de système Terre français, en travaillant sur les processus physiques déjà traités et en ajoutant ceux encore manquants. Les objectifs sont d’améliorer notre compréhension du système climatique, accroître la confiance dans les projections du climat futur, fournir des informations climatiques de haute qualité, et former la prochaine génération de professionnels du climat.
TRACCS-PC8-CYCL-ESM : Améliorer la prise en compte des processus biogéochimiques dans les modèles du système Terre CYCL-ESM vise à améliorer la représentation des cycles biogéochimiques dans les modèles de système Terre, et analyser leurs interactions avec des paramètres climatiques physiques. Les simulations climatiques issues de ces modèles avancés permettront d’étudier un large éventail de processus biogéochimiques et leurs incertitudes. Ce projet travaille notamment avec le PC5 COMPACT pour développer des émulateurs utilisant l’apprentissage automatique, afin de remplacer des composants énergivores des modèles et créer des modules plus efficaces, ainsi qu’avec le PC1 DIALOG pour définir et produire des indicateurs pertinents tels que les services écosystémiques.
TRACCS-PC9-ISCLIM : Évaluer le futur des calottes polaires et leur impact sur le climat et le niveau des mers ISClim vise à étudier l’évolution des calottes polaires et leurs interactions avec le système climatique. Il s’agit notamment de mieux contraindre les projections de contribution des calottes polaires à l’élévation du niveau de la mer et les impacts sur les autres composantes du système climatique.
TRACCS-PC10-LOCALISING : Fournir des informations climatiques locales, précises et fiables, en soutien aux stratégies d’adaptation LOCALISING élabore des modèles de systèmes climatiques locaux, multi-composants et entièrement couplés afin d’obtenir une représentation à l’échelle du kilomètre et de l’heure, et combine modèles dynamiques et approches statistiques pour caractériser l’incertitude à l’échelle locale. L’objectif est d’explorer et définir la meilleure façon de fournir des informations climatiques locales, à la fois précises et fiables en soutien aux stratégies d’adaptation.
TRACCS-PCGOUV : La coordination du programme, incluant l’animation scientifique transverse, les communications internes et externes, y compris à l’international et les actions de formation, est assurée par le projet de gouvernance. Celui-ci veille donc à la mise en musique des partitions de chaque projet ciblé, auxquels s’ajouteront bientôt les projets issus de l’appel à projets en cours.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0001.
Masa Kageyama1, Samuel Morin2, Lina Vigneron3
- LSCE-IPSL
- CNRM, Météo-France, CNRS
- CNRS-INSU
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Dernières nouvelles des projets ciblés
Tournant d’utilité dans les sciences du climat
De la recherche fondamentale aux services climatiques
De l’utilité de la science
Les sciences du climat, à l’instar de l’épidémiologie, les sciences médicales ou la physique nucléaire, sont en partie mandatées par la société afin de produire une connaissance politiquement utile et urgente, alors même que leur activité principale s’inscrit dans une logique propre à la recherche fondamentale. N’y a-t-il pas une tension voire un conflit méthodologique entre, d’un côté, l’objectif fondamental de comprendre les phénomènes naturels et sociaux qui nous entourent, et de l’autre, le devoir d’informer la société des risques qu’elle encourt avec leurs incertitudes ? La recherche fondamentale, dans toute science, est généralement considérée comme une entreprise épistémique autonome dont l’indépendance doit être préservée, où la liberté académique des scientifiques doit être garantie, et les objectifs ne doivent pas nécessairement être contraints par des impératifs sociaux. Les services scientifiques doivent au contraire se construire en dialogue avec les parties prenantes et ainsi leur offrir des connaissances à la fois fiables, non biaisées et pertinentes. Comment donc penser l’utilité des sciences dans un tel contexte ? C’est une question urgente et importante pour la communauté scientifique qui est amenée à infléchir ses objectifs et ses méthodes pour les atteindre. C’est également un défi épistémologique car, si la philosophie des sciences s’est beaucoup concentrée sur les problèmes relatifs à la fiabilité de la connaissance scientifique, elle s’est moins penchée sur ceux relatifs à l’utilité de la connaissance scientifique. Aujourd’hui, scientifiques et philosophes doivent faire face au tournant d’utilité dans les sciences du climat. Commençons par une brève histoire de ce tournant.
De la quête de compréhension du système Terre à la production de services climatiques
La contribution scientifique d’Eunice Foote (1819-1888), femme scientifique américaine, est probablement le point de départ de la compréhension de la relation entre les gaz atmosphériques et le changement climatique. Ses expérimentations (Foote, 1856) démontraient que de plus grandes quantités de dioxyde de carbone dans l’atmosphère augmenteraient la température de la Terre. Ces résultats ont été publiés cinq ans avant ceux de John Tyndall (Tyndall, 1861), travaux souvent identifiés comme point de départ des sciences du climat. Suite à cela, les travaux de Svante Arrhenius (Arrhenius, 1896), Georges Callendar (Callendar, 1938), Roger Revelle (Revelle and Suess 1957), David Keepling (Keepling, 1958), pour ne citer que quelques-uns d’entre eux, ont poursuivi la construction du socle de connaissances des sciences du climat nécessaire pour questionner les conditions de l’habitabilité de la Terre, aujourd’hui au cœur des enjeux planétaires.
A partir du milieu du siècle dernier, les innovations technologiques permettent le déploiement de réseaux de capteurs sur Terre, en mer, dans l’atmosphère et dans l’espace pour mieux observer et comprendre le système climatique. Parallèlement, les ordinateurs gagnent en puissance de calcul et en volume de stockage autorisant ainsi des calculs sur les évolutions passées, présentes et futures de l’état du climat sur Terre.
En produisant son premier rapport en 1990, le GIEC, sous l’impulsion de l’Organisation Mondiale de la Météorologie et le programme Environnement des Nations Unies, s’organise pour établir environ tous les cinq ans une synthèse des connaissances sur le fonctionnement du système climatique, l’état du climat, les projections futures sous plusieurs scénarios et les impacts associés.
Au-delà des objectifs purement cognitifs et technologiques, les scientifiques du climat sont invités de plus en plus à produire des informations qui puissent être reprises par les décideurs et les acteurs socio-économiques internationaux et nationaux dans leurs schémas de gouvernance.
Cet état de « climatisation de la société » conduit les communautés scientifiques à produire une information « utile » pour tous les secteurs d’activité car « la question climatique concerne tout, au point que tout lui semble lié, y compris les espaces sociaux, ou des milieux naturels ou des secteurs d’activité qui semblaient jusqu’ici ne par lui être attachés : la sécurité alimentaire ou migratoire, l’agriculture, le développement, le commerce, la société civile… » (Daudé et al., 2024).
Aujourd’hui, les services climatiques forment un domaine en pleine expansion. Ils ont pris jusqu’à présent différentes formes, nationales, territoriales, sectorielles. Parfois, ils sont réalisés pour répondre à des questions précises et localisées alors même qu’ils ne portent pas le nom de services à proprement parler. C’est ce qui rend difficile la définition et la caractérisation des services climatiques.
Ouverture nécessaire vers la transdisciplinarité
L’invitation à « l’utilité » conduit intrinsèquement la communauté des sciences du climat à se rapprocher des autres communautés scientifiques (e.g. les sciences de l’environnement, les sciences humaines et sociales) et à construire ensemble les cadres nécessaires pour mieux comprendre les liens entre le climat et ses impacts sur les milieux et le vivant. Ces recherches interdisciplinaires, aujourd’hui évidentes et encouragées, ont peiné à être reconnues et promues par les communautés disciplinaires.
L’émergence des services climatiques témoigne du succès de ces recherches interdisciplinaires, en produisant des connaissances utiles pour accompagner l’adaptation. En effet, comme le proposent Hewitt & Stone (2021), « un service climatique est la fourniture d’informations climatiques destinées à être utilisées dans la prise de décision et des détails et nuances supplémentaires peuvent être ajoutés si et là où c’est nécessaire, en fonction du contexte et du cas d’utilisation ». Goosen et al. (2013) introduisent le concept de « services d’adaptation au climat » qui dépasse le champ d’application du service climatique proprement dit, mais constitue une extension possible pour les spécialistes du domaine.
Néanmoins comme le signalent Hewitt & Stone (2021) à propos de la valeur/utilité du service climatique, « la chaîne de valeur dépend du contexte et représente l’ensemble des activités nécessaires à la recherche, au développement, à la production et à la livraison du produit ou du service aux utilisateurs finaux ». Pour atteindre cet objectif, de nombreux défis existent notamment en ce qui concerne le développement et la coproduction d’informations climatiques exploitables. Kolstad et al. (2019) ont divisé ces défis en quatre types de problèmes :
l’allocation d’un temps et de ressources suffisants pour la coproduction associant des partenaires d’origines diverses, le dépassement du déficit d’utilisabilité, l’instauration d’une confiance mutuelle entre tous les acteurs (chercheurs et acteurs socio-économiques) et toutes les disciplines afin que tous les acteurs aient confiance dans le processus et les résultats obtenus et reconnaissent leur pertinence et l’importance clé de la continuité dans le travail de coproduction.
Il s’agit donc de construire les cadres nécessaires pour cocréer des recherches transdisciplinaires avec l’ensemble des parties prenantes, acteurs académiques issus de plusieurs disciplines et engagés dans les recherches interdisciplinaires, acteurs socio-économiques et décideurs. Ces enjeux sont au cœur des objectifs du projet ciblé DIALOG du PEPR TRACCS. Cette coproduction peut prendre de nombreuses formes comme le suggèrent Bojovic et al. (2021) (Fig.1).
La philosophie des sciences est invitée à clarifier les conditions et les modes d’obtention de la connaissance utile, afin d’accompagner les sciences du climat dans leur tournant d’utilité (Jebeile et Roussos, 2023). Les priorités des modélisateurs du climat se portent sur la quête de compréhension du phénomène climatique. Aussi les idéaux scientifiques qui motivent le développement des modèles du climat sont le réalisme (les équations issues des théories scientifiques sont préférées aux paramétrisations), la complexité (de plus en plus de processus de la géosphère mais aussi de la biosphère sont intégrés dans les modèles), et la haute résolution spatiale (Baldissera Pacchetti et al., 2024). Or ces idéaux visent la fiabilité et la précision des connaissances tirées des modèles, et pas nécessairement leur pertinence, intelligibilité et rapidité à venir, idéaux en vigueur pour des connaissances utiles (Cash et al., 2002 ; Cash et al., 2003). Il faudra donc travailler ensemble, philosophes et scientifiques, à la réflexion collective de tous les infléchissements nécessaires aux sciences du climat afin de poursuivre sa quête fondamentale de compréhension et offrir à la société les informations urgentes qu’elle attend.
Trois défis supplémentaires nous semblent particulièrement incomber à cette discipline. Un premier défi est soulevé par la dimension nécessairement transdisciplinaire des services climatiques. Comment produire une connaissance avec l’apport de personnes concernées mais novices, notamment sans tomber dans une forme de relativisme, et sans compromettre l’objectivité de la science ? Le deuxième défi porte sur l’intrication des enjeux épistémologiques et éthiques relatifs à la production d’informations climatiques. Il demeure en effet un risque d’injustices épistémiques à au moins deux niveaux : la connaissance est utile si elle sert les intérêts de tous et pas seulement les intérêts d’un groupe déjà socialement privilégié par exemple ; la participation de personnes novices dans le processus scientifique doit être matériellement garantie et elle ne doit pas pâtir de préjudices à leur encontre. Le troisième défi est l’étude de la place des technologies (du futur) dans la réflexion sur les services climatiques. L’innovation technologique est encore aujourd’hui un impensé dans les sphères publique, philosophique et scientifique. Or, face aux enjeux à venir, il est plus que temps de se réapproprier la technologie comme produit humain, social et culturel et de prendre la mesure du fait que, aujourd’hui, les anticipations technologiques réalisées par des économistes façonnent la manière dont les scientifiques du climat produisent leurs modèles et leurs simulations.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0002.
Sandrine Anquetin1, 3 et Julie Jebeile2,3
- Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE)
- CNRM, Météo-France, CNRS
- Co-animatrices avec Nathalie De Noblet (LSCE-IPSL) du projet ciblé DIALOG du PEPR TRACCS
Références
- Arrhenius S., 1896, XXXI. On the influence of carbonic acid in the air upon the temperature of the ground. Lond Edinb Dublin Philos Mag J Sci 41:237–276. https://doi.org/10.1080/14786449608620846
- Baldissera Pacchetti, M., et al., 2024, For a pluralism of climate modelling strategies, Bulletin of the American Meteorological Society (BAMS), 105, E1350–E1364. https://doi.org/10.1175/BAMS-D-23-0169.1
- Bojovic, D., A.L. et al., 2021, Engagement, involvement and empowerment: Three realms of a coproduction framework for climate services, Global Environmental Change, https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102271
- Cash, D. W., et al., 2003, Knowledge systems for sustainable development. Proceedings of the National Academy of Sciences, 100 (14), 8086-8091. https://doi.org/10.1073/pnas.1231332100
- Cash, D. W., et al., 2002, Salience, credibility, legitimacy and boundaries: linking research, assessment and decision making. John F. Kennedy School of Government, Harvard University, Faculty Research Working Papers Series. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.372280
- Daudé, E., et al., 2024, La climatisation de la société, dans Les Sociétés face aux défis Climatiques, CNRS Edition.
- Callendar G.S., 1938, The artificial production of carbon dioxide and its influence on temperature. Q J R Meteorol Soc 64:223– 240. https://doi.org/10.1002/qj.49706427503
- Foote E., 1856, Circumstances affecting the heat of the sun’s rays, Am. J. Sci. Arts 22, 382–383
- Goosen, H., et al., 2013. Climate Adaptation Services for the Netherlands: an operational approach to support spatial adaptation planning. Reg. Environ. Chang. 14. doi.org/10.1007/s10113-013-0513-8
- Hewitt, C.D. and Stone, R., 2021. Climate services for managing societal risks and opportunities. Climate Services 23, 100240. https://doi.org/10.1016/j.cliser.2021.100240
- Jebeile, J. and Roussos, J., 2023, Usability of climate information: toward a new scientific framework. WIREs Climate Change, https://doi.org/10.1002/wcc.833
- Keeling C.D., 1958, The concentration and isotopic abundances of atmospheric carbon dioxide in rural areas. Geochim Cosmochim Acta 13:322–334. https://doi.org/10.1016/0016-7037(58)90033-4
- Kolstad, E. W., et al., 2019, Trials, Errors, and Improvements in Coproduction of Climate Services, Bulletin of the American Meteorological Society, 100(8), 1419-1428. https://doi.org/10.1175/BAMS-D-18-0201.1
- Revelle R. and H.E. Suess, 1957, Carbon Dioxide Exchange Between Atmosphere and Ocean and the Question of an Increase of Atmospheric CO2 during the Past Decades. 9:18. https://doi.org/10.3402/tellusa.v9i1.9075
- Tyndall J., 1861, The Bakerian Lecture: On the absorption and radiation of heat by gases and vapours, and on the physical connexion of radiation, absorption, and conduction, Phil. Trans. R. Soc. Lond. 151, 1–36, at pp. 28–29.
En savoir plus
- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web TRACCS - DIALOG (PC1)
Enjeux d’accès et de partage de la donnée pour les services climatiques
Au cours des quinze dernières années, les services climatiques se sont largement développés à la fois sous la pression de la demande institutionnelle nationale et européenne et de la structuration de l’offre de la communauté internationale sur le climat.
Ces services permettent l’accès à l’information sur l’évolution du climat et soutiennent ainsi les actions en matière d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique. Ainsi le portail DRIASles futurs du climat a été créé dès 2012 dans le cadre du premier Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) pour partager librement les données de projections climatiques régionales et corrigées sur la France avec les acteurs de l’adaptation. A l’échelle européenne, le portail Climate4Impact a été ouvert dès 2008 dans le cadre des programmes européens sur les infrastructures distribuées de données climatiques pour faciliter l’accès aux jeux produits par la communauté internationale de recherche sur le climat. Dans le même calendrier, a été créé à l’échelle nationale un centre de données et calcul pour assurer l’Ensemble des Services Informatiques Pour La recherche à l’IPSL (ESPRI). Dans cette plateforme, la composante ESPRI-Mod joue le rôle d’interface entre la communauté française de modélisation du climat et les données qu’elle produit ou utilise.
Malgré des évolutions continues sur les trois plateformes depuis leur ouverture, les enjeux croissants d’accès et de partage des données pour les services climatiques nécessitent une transformation anticipée de ces systèmes dans le cadre du projet ciblé INVEST du PEPR TRACCS.
En effet, l’essor du calcul exascale et des techniques d’IA pour la modélisation climatique d’une part et de la demande des acteurs de l’adaptation d’autre part, promettent une explosion des volumes de données climatiques et d'outils à délivrer dans les prochaines années. L’arrivée des projections issues de CMIP7, des projections régionales CORDEX et le passage à des ensembles de CP-RCM à haute résolution conduisent à un facteur supérieur à 1000 sur les volumes des données à mettre à disposition. Les approches IA permettent en parallèle de produire des centaines de simulations climatiques régionales là où l'on peinait à en produire une dizaine avec des modèles à base physique. Dans le cadre du futur PNACC-3 en France, le portail de données DRIAS est prévu d’évoluer vers un portail DRIAS-Impact pouvant distribuer l’ensemble des jeux de données sur les impacts. Des attentes très fortes sont exprimées par les acteurs les plus experts pour disposer d’outils adaptés à ces grands volumes ainsi que de capacité de calcul au plus près des données similaires aux solutions mises en place par le portail Copernicus Climate Change Service (C3S) au niveau européen. L’essor de l’IA comme méthode d’analyse de grands volumes de données permet aussi d’envisager une performance accrue pour l’analyse de grands ensembles de simulations. En réponse à ses enjeux colossaux, le projet INVEST vise à fournir un environnement technique robuste et durable pour distribuer les données et les logiciels climatiques aux acteurs scientifiques et sociétaux, se focalisant sur quatre axes majeurs :
- Analyser les avancées de la modélisation climatique et notamment des différents projets ciblés du PEPR TRACCS pour anticiper et organiser la mise en ligne de jeux de données descendus d’échelle et d’indicateurs sectoriels.
- Soutenir la mise à jour technique des infrastructures nationales de distribution et d’accès aux données. Cela implique la création d’un catalogue partagé, de renforcer l’aspect distribué de données et de proposer un point d’entrée à tous ces services.
- Fournir des services haut de gamme pour les utilisateurs avancés, en s’appuyant sur les développements réalisés dans le cadre des programmes TRACCS, GAIA-DATA et des projets européens.
- Définir et mettre en place une infrastructure conforme à la norme FAIR pour améliorer l’accès aux données, aux méthodes statistiques innovantes et aux codes associés développés et mis à disposition dans le cadre de TRACCS.
Cette initiative contribuera à définir des normes pertinentes avec la Research Data Alliance (RDA) et à assurer une intégration harmonieuse avec des initiatives européennes telles que Copernicus/DestinE.
Il est à noter également qu’une bonne partie du travail mené dans le cadre du projet INVEST alimentera l’évolution des services de l’IR CLIMERI-France.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0003.
Jean-Michel Soubeyroux1, Guillaume Levavasseur2, Maryvonne Kerdoncuff2, Christian Pagé3
- Météo France
- Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL)
- CECI, CNRS/CERFACS
En savoir plus
-
- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web TRACCS - INVEST (PC2)
- Climate4Impact
- CMIP7
- Copernicus Climate Change Service (C3S)
- CORDEX
- DRIASles futurs du climat
- ESPRI : Ensemble des Services Informatiques Pour La recherche à l’IPSL
- GAIA-DATA
- PEPR TRACCS
Preuves de concept et démonstrateurs de services climatiques
Il existe aujourd’hui une demande croissante d’information sur la manière et le moment où le climat affectera de manière significative certains secteurs et/ou certaines régions, mais aussi une demande de services climatiques spécifiques et adaptés pour faire face aux enjeux climatiques d’aujourd’hui et de demain. Le développement de ces services, leur opérationnalisation et leur appropriation par les utilisateurs nécessitent la réalisation de démonstrateurs et de preuves de concept que TRACCS- PC3-DEMOCLIMA se propose de mettre en œuvre.
Comment définir un démonstrateur et une preuve de concept ?
Dans le domaine de l’innovation, les notions de preuve de concept et de démonstrateur (ou prototype) jouent un rôle central dans le développement de nouvelles idées, produits ou services. La preuve de concept vise à démontrer qu’une idée est réalisable d’un point de vue technique, scientifique ou conceptuel. Le démonstrateur est une version tangible, partielle ou complète, du service qui peut être utilisée pour tester l’ergonomie, les performances ou l’expérience utilisateur. Il s’inscrit souvent dans une démarche de co-construction avec les utilisateurs et d’amélioration continue. Ces deux notions, formant les bases solides d’un processus d’innovation réussi, sont souvent utilisées conjointement en ce sens que la preuve de concept répond à la question : «Est-ce que cela peut fonctionner ?» et le prototype s’interroge : «À quoi cela ressemblera-t-il dans la pratique ?».
Est-ce possible dans le domaine du climat ?
La communauté de la recherche sur le climat en France a déjà été mobilisée sur la production de démonstrateurs de services climatiques. La « Convention relative à l’attribution d’un soutien financier au bénéfice des services climatiques », signée entre le ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) et le CNRS en 2017, avait ainsi pour ambition de diffuser en libre accès un ensemble de données, de méthodes et de supports de formation permettant aux décideurs et aux acteurs de l’industrie de mieux interpréter les projections climatiques, les événements extrêmes et les contributions nationales aux réductions d’émissions. Ce programme a impliqué des laboratoires et fédérations de recherche de différentes institutions comme le CNRS, l’IRD et Météo-France, et a conduit à un enrichissement significatif du portail Drias, à la mise en place d’un nouveau service opérationnel (suite de l’Extremoscope) et de cinq démonstrateurs de services. Ces démonstrateurs ont porté sur l’évolution des aquifères, l’agriculture en Afrique, les régions côtières et l’évaluation de l’évolution des risques d’inondation, l’évolution des écosystèmes marins en Méditerranée et les services climatiques pour les villes. Une synthèse des principales réalisations a été publiée dans le récent rapport de l’ONERC. Les leçons apprises ainsi que les données et les outils produits dans le cadre de cette convention sur les services climatiques seront essentiels pour TRACCS-PC3-DEMOCLIMA.
Quelle est la contribution de TRACCS-PC3-DEMOCLIMA ?
TRACCS-PC3-DEMOCLIMA renforcera le développement de ces services climatiques en produisant une série de démonstrateurs (10 à 12) dans différents territoires et secteurs en France et dans deux pays vulnérables, le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Les démonstrateurs pourront à terme être opérationnalisés et/ou suffisamment génériques pour être adaptés à des systèmes et/ou des contextes similaires aux études de cas sélectionnées dans le cadre du projet. Chaque étude de cas est définie par un territoire, un système socio-écologique pour un secteur d’intérêt, et par un besoin de service climatique exprimé par les acteurs du système.
TRACCS-PC3-DEMOCLIMA implique l’IRD, le CNRS, le CEA et Météo-France. Il est étroitement lié notamment aux projets ciblés DIALOG (PC1), INVEST (PC2), EXTENDING (PC4) et LOCALISING (PC10). Sa stratégie comporte trois volets et sera développée dans trois groupes de travail (WP) différents :
- (WP1) Concevoir une méthodologie, un protocole, pour sélectionner des études de cas d’intérêt pour les territoires, les secteurs et les acteurs considérés dans le projet. Les démonstrateurs potentiels émergeront du travail effectué conjointement avec le projet ciblé DIALOG (PC1) à l’interface entre la recherche scientifique, les acteurs socio-économiques et les politiques publiques. A partir de cet ensemble, nous appliquerons certains critères pour sélectionner des études de cas qui deviendront des démonstrateurs,
- (WP2) Co-construire avec les parties prenantes les démonstrateurs associés basés sur des indicateurs pertinents pour les études de cas sélectionnées, avec l’objectif sous-jacent de la généricité afin que la méthodologie puisse être répliquée dans d’autres territoires/systèmes pour le même secteur ou pour d’autres secteurs sur le même territoire,
- (WP3) Initier et structurer un dialogue avec les praticiens et les chercheurs pour l’adoption et l’opérationnalisation des services climatiques, qu’ils soient développés dans le cadre de TRACCS ou au-delà.
Cette stratégie implique des équipes pluridisciplinaires de praticiens et d’experts des composantes physiques du changement climatique et d’autres disciplines, notamment l’écologie, la science des données, les sciences humaines et sociales. Les appels ouverts dans le cadre de TRACCS permettront d’étendre son application à d’autres secteurs tels que la santé, les ressources marines, la biodiversité, les ressources en eau, et pourraient également étendre son application à d’autres informations et outils climatiques clés présentant un intérêt pour les études de cas (prévisions saisonnières et infra-saisonnières, prévisions décennales, analyse d’incertitude).
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0004.
Benjamin Sultan1, Nathalie De Noblet – Ducoudré2, Benoit Hingray3, Marjolaine Huot-Royer4, Yann Michel5, Juliette Mignot6, Samuel Morin3, Jérôme Servonnat2, Didier Swingedouw7
- ESPACE-DEV, Université de Montpellier, IRD
- LSCE-IPSL
- Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE)
- CNRM, Météo-France, CNRS
- Université de Toulouse
- Météo France
- LOCEAN-IPSL
- Université de Bordeaux
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- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web TRACCS - DIALOG (PC1)
- Page web TRACCS - INVEST (PC2)
- Page web TRACCS - DEMOCLIMA (PC3)
- Page web TRACCS - EXTENDING (PC4)
- Page web TRACCS - LOCALISING (PC10)
- DRIASles futurs du climat
- Rapport de l’ONERC : La prospective au service de l’adaptation au changement climatique
Élargir la notion d’influence anthropique dans l’attribution des événements extrêmes
L’attribution d’événements extrêmes cherche à contextualiser un événement météorologique extrêmes dans un climat qui change. Allen (2003) a introduit l’idée de comparer la probabilité d’un événement dans le monde factuel, c’est-à-dire le monde avec changement climatique, à sa probabilité dans un monde contrefactuel, c’est-à-dire un monde qui aurait pu être, en l’absence de changement climatique. Depuis, la science de l’attribution des événements extrêmes a évolué dans plusieurs directions, grâce à différentes approches de la contextualisation des événements observés dans un climat changeant (Trenberth et al., 2015, Shepherd 2016, Otto 2017, Jézéquel et al., 2018) et à différentes méthodologies (par exemple, Pall et al., 2011, Meredith et al., 2015, Robin et Ribes 2020, Faranda et al., 2022).
Cependant, l’influence humaine sur les catastrophes climatiques va au-delà de l’influence potentielle du changement climatique anthropique sur les phénomènes météorologiques extrêmes. Par exemple, la consommation d’eau peut entraîner des sécheresses anthropiques (Agha Kouchak et al., 2015, 2021, Van Loon et al., 2016) et il a été démontré que les pratiques de gestion de l’eau aggravent à la fois les sécheresses de débit (Van Loon et al., 2022) et l’épuisement des eaux souterraines (par exemple, Wendt et al., 2020, Ashraf et al., 2021).
L’une des motivations de l’attribution d’événements extrêmes étant de comprendre les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines, plutôt que ses effets sur les seuls phénomènes météorologiques extrêmes, il existe de plus en plus d’études d’attribution des impacts, plutôt que seulement des aléas météorologiques. L’attribution d’événements extrêmes, y compris l’attribution des impacts, met en évidence l’influence humaine sur ces impacts uniquement par le biais du changement climatique, en quantifiant l’impact des émissions de gaz à effet de serre sur l’aléa à l’origine de la catastrophe (Mengel et al., 2021).
L’établissement du lien entre ces émissions et les événements météorologiques à fort impact est essentiel pour mettre en évidence les responsabilités des émetteurs dans les impacts actuels liés au climat. Cependant, une perspective trop centrée sur le climat présente le risque de limiter l’attribution des impacts des phénomènes météorologiques extrêmes aux émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols, et de rendre ainsi invisible le rôle d’autres facteurs anthropiques de catastrophes, en particulier la vulnérabilité dynamique et l’inadaptation (Wisner, 2016), et de rendre le climat responsable des catastrophes (Raju et al., 2022).
La communauté de la réduction des risques de catastrophe est une autre communauté scientifique qui travaille sur les événements météorologiques extrêmes ayant des impacts, et qui elle, analyse l’influence humaine sur les risques. Si l’intégration de ces questions dans l’attribution d’événements extrêmes est un défi, on peut en dire autant de l’intégration du changement climatique en tant que couche supplémentaire d’influence humaine sur les catastrophes pour la réduction des risques de catastrophe. Il est important de prendre en compte la non-stationnarité des aléas (par exemple, les changements, en particulier les augmentations des risques de catastrophe dus aux inondations, à la sécheresse ou aux incendies qui deviennent plus fréquents et/ou plus intenses en raison du changement climatique anthropique), car avec les changements dans les caractéristiques des événements extrêmes, les quartiers autrefois considérés comme sûrs deviennent nouvellement exposés aux aléas, ce qui fait chuter la valeur monétaire de leurs propriétés (Köhler et al., 2023). Les résidents les plus vulnérables sur le plan économique et social, qui n’ont pas les moyens de déménager, se retrouvent ainsi piégés dans un quartier plus exposé aux aléas climatiques (Rufat et al., 2020).
L’attribution d’événements extrêmes ajoute une perspective événementielle à la discussion sur les risques et fournit une nouvelle base pour attribuer les responsabilités en matière d’impacts des catastrophes. Elle peut être utilisée pour souligner le lien de causalité entre les émissions et les pertes dans un contexte de justice climatique (Otto et al., 2022). Cependant, la mise en évidence de la contribution de l’homme aux catastrophes par le biais du changement climatique anthropique peut paradoxalement entraver les efforts de la communauté de la réduction des risques de catastrophe visant à « retirer le caractère naturel des catastrophes naturelles » (O’keefe et al., 1976), en (re)focalisant l’attention sur l'aléa plutôt que sur la vulnérabilité. Lahsen et Ribot (2022) ont montré comment les « cadrage des catastrophes centrés sur le climat » peuvent être utilisés par les politiciens locaux pour se soustraire à leurs responsabilités à la suite d’une catastrophe (voir également Grant et al. (2015) sur la « climatisation » des impacts des cyclones au Bangladesh, Savelli et al. (2021) sur la sécheresse de 2015-2017 au Cap, et Lahsen et al. (2020) pour deux études de cas brésiliens). Les récits accordant une importance excessive au rôle du changement climatique dans des crises telles que la guerre syrienne ou les migrations africaines ont également été remis en question (Fröhlich 2016, Selby et al., 2017, Ribot et al., 2020), et posent des problèmes quant à ce que cette climatisation des conflits pourrait signifier pour les politiques et les agendas internationaux (Lahsen et Ribot, 2022).
Dans Jézéquel et al. (2024), nous proposons un cadre multidimensionnel pour l’ attribution d’événements extrêmes (Figure 1). L’objectif est de construire un pont entre les deux communautés et de donner un aperçu des contributions du changement climatique et d’autres facteurs aux pertes dues aux catastrophes. Ce nouveau cadre pourrait contribuer à améliorer les connaissances sur les causes des impacts liés au climat en incluant à la fois les effets du changement climatique anthropique et d’autres influences humaines sur le risque, en construisant des mondes contrefactuels et factuels pertinents, sur la base d’un processus de co-construction inclusif entre les scientifiques, les décideurs et les communautés les plus vulnérables.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0005.
Aglaé Jézéquel
LMD-IPSL
Références
- AghaKouchak A., et al., 2015, Water and climate: recognize anthropogenic drought. Nature 524 409–11. DOI: 10.1038/524409a
- AghaKouchak A., et al., 2021, Anthropogenic drought: definition, challenges, and opportunities. Rev. Geophys. 59 e2019RG000683
- Allen M. 2003 Liability for climate change. Nature 421 891–2
- Ashraf S., Nazemi A. and AghaKouchak A., 2021, Anthropogenic drought dominates groundwater depletion in Iran. Sci. Rep. 11 9135
- Faranda D., et al., 2022, A climate-change attribution retrospective of some impactful weather extremes of 2021. Weather Clim. Dyn. 3 1311–4
- Fröhlich C. J., 2016, Climate migrants as protestors? Dispelling misconceptions about global environmental change in pre-revolutionary Syria. Contemp. Levant 1 38–50
- Grant S., et al., 2015, Climatization: a critical perspective of framing disasters as climate change events. Clim. Risk Manage. 10 27–34
- Jézéquel A., et al., 2018, Behind the veil of extreme event attribution. Clim. Change 149 367–83
- Jézéquel A., et al., 2024, Broadening the scope of anthropogenic influence in extreme event attribution. Environmental Research: Climate. 2024 Sep 24;3(4):042003.
- Köhler L., et al., 2023, Better prepared but less resilient: the paradoxical impact of frequent flood experience on adaptive behavior and resilience. Nat. Hazards Earth Syst. Sci. 23 2787–806
- Lahsen M., et al., 2020, When climate change is not blamed: the politics of disaster attribution in international perspective. Clim. Change 158 213–33
- Lahsen M. and Ribot J., 2022, Politics of attributing extreme events and disasters to climate change. WIREs Clim. Change 13 e750
- Mengel M., et al., 2021, ATTRICI v1.1—counterfactual climate for impact attribution. Geosci. Model Dev. 14 5269–84
- Meredith E. P., et al., 2015, Crucial role of Black Sea warming in amplifying th 2012 Krymsk precipitation extreme. Nat. Geosci. 8 615–9
- O’keefe P., et al., 1976, Taking the naturalness out of natural disasters. Nature 260 566–7
- Otto F. E. L., 2017, Attribution of weather and climate events. Annu. Rev. Environ. Resour. 42 627–46
- Otto F. E. L., et al., 2022, Causality and the fate of climate litigation: the role of the social superstructure narrative. Glob. Policy 13 736–50
- Pall P., et al., 2011, Anthropogenic greenhouse gas contribution to flood risk in England and Wales in autumn 2000. Nature 470 382–5
- Raju E., Boyd E. and Otto F., 2022, Stop blaming the climate for disasters. Commun. Earth Environ. 3 1
- Ribot J., Faye P. and Turner M. D., 2020, Climate of anxiety in the Sahel: emigration in xenophobic times. Public Cult. 32 45–75
- Robin Y. and Ribes A., 2020, Nonstationary extreme value analysis for event attribution combining climate models and observations. Adv. Stat. Climatol. Meteorol. Oceanogr. 6 205–21
- Rufat S., et al., 2020, Swimming alone? Why linking flood risk perception and behavior requires more than «it’s the individual, stupid. Wiley Interdiscip. Rev. 7 1462
- Savelli E., et al., 2021, Don’t blame the rain: social power and the 2015–2017 drought in Cape Town. J. Hydrol. 594 125953
- Selby J. , et al., 2017, Climate change and the Syrian civil war revisited. Polit. Geogr. 60 232–44
- Shepherd T. G., 2016, A common framework for approaches to extreme event attribution. Curr. Clim. Change Rep. 2 28–38
- Trenberth K. E., Fasullo J .T. and Shepherd T. G., 2015, Attribution of climate extreme events. Nat. Clim. Change 5 725–30
- Van Loon A. F., et al., 2016, Drought in a human-modified world: reframing drought definitions, understanding, and analysis approaches. Hydrol. Earth Syst. Sci. 20 3631–50
- Van Loon A. F., et al,. 2022, Streamflow droughts aggravated by human activities despite management. Environ. Res. Lett. 17 044059
- Wendt D. E., et al., 2020, Asymmetric impact of groundwater use on groundwater droughts. Hydrol. Earth Syst. Sci. 24 4853–68
- Wisner B., 2016, Vulnerability as Concept, Model, Metric, and Tool. Oxford Research Encyclopedia of Natural Hazard Science
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- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web TRACCS - EXTENDING (PC4)
Paradigmes informatiques pour des modèles climatiques efficaces, modulaires et entraînables
Les modèles de climat sont des outils scientifiques pour comprendre le fonctionnement du système climatique. Ce sont également des outils numériques essentiels fournissant des informations quantitatives nécessaires à l’élaboration des politiques publiques, notamment dans le cadre des services climatiques. Leur structure devra cependant profondément évoluer dans la décennie à venir afin de répondre à l’évolution de leurs applications, et pour tirer parti de nouvelles opportunités scientifiques et technologiques. Ces modèles numériques devront en effet fournir des informations fiables à de plus fines résolutions spatiales, tout en quantifiant les incertitudes de leurs projections.
Ils devront tirer parti de manière optimale des nouvelles architectures des supercalculateurs, tout en permettant aux utilisateurs d’ajuster la complexité de leurs composantes en fonction de l’application ciblée. Tout en continuant à être basés sur des lois scientifiques robustes, ils devront exploiter de manière plus systématique les données d’observation de la Terre pour leur formulation et leur calibration. Ils pourront notamment pour cela s’appuyer sur l’essor de l’apprentissage automatique et de la programmation différentiable appliqués au calcul scientifique. Un enjeu de la décennie dans le domaine de la modélisation climatique est donc de réussir à transformer graduellement les systèmes existants pour les rendre plus efficaces, plus modulaires et donc plus “composables”, et plus compatibles avec les outils de l’intelligence artificielle. Le principal verrou est ici la structure même des systèmes informatiques que sont les modèles de climat. Ces systèmes, leurs composantes et leurs interfaces sont en effet écrits dans des langages de programmation robustes mais avec de faibles niveaux d’abstraction. Dans ce contexte, l’objectif du projet ciblé 5 intitulé COMPACT (COMputing PAradigms towards efficient, modular and trainable ClimaTe models) est donc de guider l’évolution de la conception et de l’implémentation des modèles de climat nationaux à l’horizon 2030, et de former de nouveaux scientifiques pour accompagner l’évolution de nos outils de modélisation au-delà de 2030. En pratique, nous proposons de combiner des activités exploratoires et des efforts de modification structurelle des outils numériques qui composent les systèmes de modélisation climatiques nationaux. Le projet se concentrera en priorité sur les outils qui sont partagés par les deux systèmes existants (IPSL-CM et CNRM-CM). Les activités seront organisées autour de trois axes complémentaires portant respectivement sur les performances HPC, la modularité et l’hybridation IA de ces outils. Les activités proposées pour chacun de ces axes s’intégreront dans la feuille de route d’évolution de chacun des outils, garantissant leur intégration dans les futures versions de modèles de climat nationaux. Le projet permettra la formation et l’accompagnement d’une nouvelle génération d’experts sur ces thématiques au sein de notre communauté.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0006.
Julien Le Sommer1, Sophie Valcke2, Thomas Dubos3, Yann Meurdesoif4
- Université de Grenoble
- CECI, CNRS/CERFACS
- LMD-IPSL
- LSCE-IPSL
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- Page web TRACCS - COMPACT (PC5)
Les incertitudes des modèles et simulations
Des politiques d’atténuation et d’adaptation robustes et efficaces nécessitent une évaluation des risques actuels et futurs pour les systèmes naturels et humains. Cette évaluation des risques s’appuie sur des projections du climat futur fournies par des simulations numériques physiques du climat obtenues par des modèles qui couplent des modules de la dynamique océanique et atmosphérique, avec la végétation et l’hydrologie continentales, le cycle du carbone et son interaction avec la biogéochimie marine, etc. En raison de la nature globale et de la complexité du système climatique, et en raison de la durée des simulations requises, les approximations faites dans ces modèles sont nombreuses. De plus, cette évaluation des risques dépend fortement des incertitudes liées à la sensibilité des modèles climatiques au changement climatique (par définition le réchauffement induit par les gaz à effet de serre). La quantification des incertitudes associées est d’une importance primordiale pour la société. L’adaptation aux changements climatiques, en particulier, nécessite d’explorer ces incertitudes afin de bien anticiper les différents risques climatiques qui peuvent menacer toute activité, organisation ou infrastructure, et de concevoir des moyens significatifs de les réduire. Il s’agit aussi d’envisager et de se préparer à d’éventuelles évolutions climatiques plausibles et particulièrement impactantes, bien que peu probables.
Le développement d’un modèle climatique est toujours un projet à long terme. En dépit des progrès continus dans la compréhension de la physique fondamentale du climat, les sous-modèles ou paramétrisations représentant des composantes ou des processus individuels restent approximatifs, soit en raison de problèmes de coûts numériques (limites de résolution spatiale de la grille du modèle, ou compromis pour le calcul du transfert radiatif par exemple), soit, plus fondamentalement, parce qu’ils tentent de résumer des processus complexes et multi-échelles à travers une représentation idéalisée et approximative. Chaque paramétrisation repose sur un ensemble d’équations internes et dépend de paramètres dont les valeurs sont souvent mal contraintes par les observations. Le processus d’estimation de ces paramètres incertains afin de réduire l’inadéquation entre des observations spécifiques et les résultats du modèle est généralement appelé tuning dans la communauté de la modélisation climatique. Le tuning des modèles de climat, c’est à dire l’ajustement des paramètres libres, est aujourd’hui reconnu comme une étape clé dans le développement d’un modèle climatique, notamment dans le but de stabiliser la température moyenne mondiale à un niveau raisonnable tout en respectant les grandes lois de conservation de l’énergie.
Une autre nouveauté importante dans le domaine de la quantification de l’incertitude des simulations climatiques au cours des dernières années est venue des observations. En effet, plusieurs études suggèrent que les tendances climatiques observées peuvent désormais être utilisées pour contraindre l’incertitude sur le réchauffement attendu au 21e siècle en réponse à différents scénarios d’émissions (ou perturbations idéalisées, Ribes et al. 2021). Pour la première fois, le 6ème rapport d’évaluation du GIEC (AR6) a fourni des projections (fournies à l’origine par des modèles climatiques) contraintes par des observations (les soi-disant « contraintes observationnelles ») pour évaluer le réchauffement moyen mondial au cours du siècle en cours (Lee et al., 2021). Seules quelques variables globales (température de l’air à la surface, contenu thermique des océans, niveau de la mer) ont été contraintes de cette manière, mais le champ d’application de ces méthodes devrait augmenter à l’avenir, à mesure que l’influence humaine sur le climat s’intensifie et émerge du bruit de la variabilité interne. Les nouvelles applications pourraient inclure des échelles régionales ou locales, de nouvelles variables (par exemple, le cycle de l’eau), des événements extrêmes, etc. Ces nouvelles pistes seront pleinement explorées dans le PC6, pour délivrer des projections globales contraintes aux autres PC de TRACCS qui produiront les services climatiques.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0007.
Julie Deshayes
LOCEAN-IPSL
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- Page web TRACCS - QUINTET (PC6)
En quoi l’amélioration de la représentation des processus est-elle pertinente pour les services climatiques ?
Depuis les années 1960 et les travaux pionniers de Syukuro Manabe, les modèles de climat sont des outils essentiels pour l’étude du système climatique et sa réponse globale à locale à différents forçages, en particulier anthropiques. Ces outils sont aussi à la base des projections climatiques réalisées régulièrement dans les cadres CMIP, alimentant une partie des rapports du GIEC sur l‘évaluation du changement climatique et de son évolution. Outre leur utilisation pour caractériser et comprendre le changement climatique aux échelles globales et régionales, les modèles de climat globaux, tels que ceux au cœur des projets ciblés IMPRESSION-ESM (PC7), CYCL-ESM (PC8) et ISClim (PC9), sont utilisés comme forçage aux bords des modèles régionaux comme ceux développés dans le PC10 (LOCALISING) pour affiner la réponse du système climatique à l’échelle locale. Un forçage de qualité pour ces modèles régionaux est indispensable (garbage in, garbage out, e.g., Giorgi, 2019). Les informations fournies par cette chaîne de modélisation alimentent directement ou indirectement toute une panoplie de services climatiques. Pour être pertinentes, les informations fournies doivent être de la plus grande qualité possible, et associées à une quantification précise de leurs incertitudes (l’un des objectifs du PC6 (QUINTET)) et du degré de confiance des assertions qui peuvent découler de leur analyse (e.g., vocabulaire utilisé dans les rapports du GIEC). Pour y parvenir, la communauté scientifique internationale de la modélisation du climat, en particulier celle incluse dans TRACCS, cherche à améliorer la représentation des processus physiques, chimiques, biologiques, etc. dans les modèles de climat globaux, du moins ceux que la communauté scientifique estime critiques pour comprendre et prévoir le climat aux échelles globales et régionales et à des horizons décennaux à séculaires. Ce travail est indispensable dans la fourniture in fine d’une information climatique crédible et robuste.
Au cours des dernières décennies, les modèles de climat ont énormément gagné en réalisme grâce à (i) une compréhension plus fine des processus touchant les différentes composantes du système climatique, permettant d’améliorer la représentation numérique qui en est faite, et (ii) l’inclusion de nouveaux processus, voire de nouvelles composantes, introduisant par la même occasion de nouvelles rétroactions dont l’effet sur le climat peut alors être étudié et quantifié. Les progrès récents en matière d’observation du climat, de théorie et d’outils d’analyse nous motivent pour aller encore plus loin et ainsi continuer à améliorer, voire ajouter, la représentation de certains processus climatiques dans nos modèles de climat. Les PCs 7, 8 et 9 de TRACCS proposent de se concentrer sur certains de ces défis, détaillés ci-dessous, espérant ainsi faire des avancées significatives sur la compréhension du système climatique, sa modélisation et in fine la qualité des informations climatiques alimentant les services climatiques en aval.
Plus spécifiquement, le PC7, IMPRESSION-ESM, se focalise sur les aspects physiques du système climatique (Figure 1). Dans l’atmosphère, la convection profonde (i.e. les orages) joue un rôle déterminant en redistribuant verticalement l’eau et l’énergie, en étant une source importante de nébulosité qui module directement les échanges radiatifs dans le système et avec le soleil, et en interagissant fortement avec la circulation dynamique du système. La représentation numérique de la convection et de ses effets sur l’échelle résolue par nos modèles de climat est encore une source importante d’erreurs dans les modèles de climat que le PC7 souhaite attaquer notamment en exploitant différents types de modélisation à fine ou très fine résolution (~1 km à ~100 m). Les surfaces continentales sont extrêmement hétérogènes spatialement (e.g., diversité de couvert, de type de sol), ce qui est encore insuffisamment pris en compte dans les modèles. L’anthropisation des surfaces requiert également de franchir une étape en termes d’inclusion de nouveaux processus dans les modèles de surface continentales. La neige est un élément particulier sur ces surfaces, que ce soit aux moyennes latitudes où elle module fortement les bilans énergétique et hydrologique locaux et régionaux ou sur les calottes polaires où elle est l’apport de masse dans leur bilan de masse. De nombreuses incertitudes dans la modélisation de ses propriétés radiatives et de l’évolution de sa densité au cours de son cycle de vie demandent à être réduites. Dans les modèles d’océan opérant à l’échelle globale, la résolution spatiale standard (~1°) est trop lâche pour représenter les effets de mélange par les tourbillons de méso-échelle (quelques ~10 km). Leur paramétrisation y est relativement rudimentaire mais essentielle dans la capacité de l’océan à redistribuer l’excès de chaleur induit par le changement climatique. Il en est de même pour la bonne prise en compte de la bathymétrie et de ses interactions avec le fluide océanique. Les modèles de glace de mer ont aussi des avancées significatives à réaliser que ce soit dans une meilleure prise en compte de l’eau liquide dans les propriétés de la glace ou dans la représentation des processus rhéologiques (e.g., fracture) au cours du cycle de vie de la banquise. Enfin, le couplage aux interfaces entre ces différentes composantes est au cœur du système climatique et un enjeu fort de la modélisation du climat, tant en termes numériques que physiques. De fait, il était naturel de mettre un effort conséquent dans le PC7 sur ces différents sujets. D’autres sujets sont évidemment d’égale importance. Ils sont généralement abordés dans d’autres cadres de travail, de manière coordonnée avec les activités TRACCS, afin d’améliorer de manière plus générale nos deux modèles de climat français.
Les cycles biogéochimiques sont aussi des briques essentielles du système Terre, liant non seulement les échanges de matières entre l’océan, les continents et l’atmosphère, leur transformation au cours de ces échanges mais aussi leur contribution aux échanges physiques d’énergie dans le bilan planétaire. Depuis l’ère industrielle, les activités humaines ont bouleversé les cycles biogéochimiques, en premier lieu le cycle du carbone (CO2 et méthane) et celui de l’azote, qui sont la cause du changement climatique que nous connaissons aujourd’hui. La compréhension et la modélisation de leur évolution future sont donc critiques pour mieux appréhender le rythme et les impacts des changements climatiques futurs. C’est cet objectif qui motive le travail collectif entre l’IPSL et le CNRM au sein du PC8 CYCL-ESM de TRACCS. CYCL-ESM vise en premier lieu à ériger les cycles biogéochimiques comme une composante clé des deux systèmes de modélisation français en permettant de représenter la chaîne de processus de manière complète, en allant des émissions aux forçages radiatifs de gaz à effet de serre tels que le CO2, CH4 et N2O, ou d’aérosols tels que les carbone suies. CYCL-ESM se concentre aussi sur des régions à enjeux telles que les zones arides ou semi-arides ou des systèmes à fort impacts comme les feux et mégafeux. Le travail porté par le CYCL-ESM a vocation à animer la recherche française sur les composantes des modèles de système Terre français, à savoir la biogéochimie marine (PISCES), la végétation continentale et les surfaces terrestres (ORCHIDEE et ISBA) et la composition atmosphérique (INCA et ARPEGE).
Les calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique, qui stockent respectivement un volume d’eau équivalent à plus de 7 et 58 m d’élévation du niveau marin, sont soumises à une accélération de leur perte de masse observée depuis le tournant des années 2000 grâce aux données spatiales. Aujourd’hui, elles sont des contributeurs essentiels à la montée du niveau de l’océan (entre 2006 et 2018 : 1.00 mm/an pour une augmentation moyenne observée de 3.69 mm/an d’après l’AR6). Ces observations, confirmées ultérieurement par l’acquisition de nouvelles données, ont été une surprise pour la communauté des glaciologues. En effet, la dynamique des calottes polaires était alors considérée comme répondant suffisamment lentement au forçage climatique pour qu’une fonte accélérée du Groenland au cours du prochain siècle soit compensée par l’augmentation des précipitations sur l’Antarctique du fait d’un climat plus chaud (AR3). Les observations spatiales forcent alors à reconsidérer ce présupposé ! D’autant plus que les calottes polaires sont des composantes du système climatique présentant des points de bascules, leur perte de masse pouvant s’emballer et s’auto-entretenir après une première perturbation de l’atmosphère ou de l’océan.
Du fait de rétroactions avec l’altitude (plus l’élévation de la surface diminue, plus la température augmente, ce qui favorise la fonte) et l’albédo (la fonte de la neige fraîche entraîne une diminution de l’albédo renforçant la fonte), le bilan de masse de surface du Groenland, c’est à dire la quantité de neige persistant à sa surface après un cycle annuel, pourrait devenir négatif si le réchauffement global n’était pas limité en dessous de 2°C. Sans alimentation durable par des précipitations solides, la récession du Groenland devient alors irrévocable à l’échelle de plusieurs siècles à millénaires. Si en Antarctique la fonte de surface reste limitée dans le climat actuel, la calotte en Antarctique de l’Ouest a la particularité d’avoir un socle qui repose sous le niveau de la mer qui s’avère plus profond au centre de la calotte qu’à proximité des côtes (on parle alors de pente rétrograde). Or, lorsque la ligne d’échouage, la limite entre la partie posée de la calotte et la plateforme qui flotte sur l’océan en aval, s’engage sur une pente rétrograde, la calotte ne peut vraisemblablement pas trouver de position d’équilibre et tout retrait initié s’auto-entretient. Il ne peut être exclu que les retraits observés des glaciers de Pine Island et Thwaites, qui contrôlent largement le bilan de masse négatif de la calotte Antarctique, soient les prémices d’une telle instabilité appelée instabilité des calottes marines. Cela reste à ce jour la plus grande incertitude quant aux projections d’élévation du niveau des mers, une contribution de près d’un mètre de l’Antarctique à l’élévation du niveau des mers à l’horizon 2100 ne pouvant être exclue.
Mieux comprendre puis mieux représenter dans les modèles l’évolution des précipitations, de la fonte de surface puis de son ruissellement, son impact sur la dynamique glaciaire en lubrifiant le socle rocheux et facilitant le glissement des glaciers ou en fragilisant les plateformes de glace, comme le rôle de la circulation océanique dans les cavités sous les plateformes de glace et l’impact sur la fonte de ces dernières sont les principaux verrous à lever avant d’espérer réduire l’incertitude des projections d’élévation du niveau des mers. Les rétroactions des changements de masse et de géométrie des calottes sur l’atmosphère comme sur l’océan restent aussi à explorer. Progresser sur notre représentation de la dynamique des calottes polaires et de son interaction avec l’ensemble du système climatique est l’objet du PC9 de TRACCS, ISClim. En particulier, ISClim vise à intégrer les modèles de calottes polaires GRISLI et Elmer/Ice développés par la communauté nationale dans le modèle du système Terre IPSL-CM. Ces travaux sont un enjeu majeur pour anticiper l’évolution du niveau de la mer dans les prochaines décennies et les prochains siècles et ainsi dimensionner de manière pertinentes les stratégies d’adaptation de nos littoraux (e.g., projet H2020 CoCliCO).
IMPRESSION-ESM, CYCL-ESM et ISClim ont démarré officiellement entre la mi-2023 et le début de 2024. Leurs réunions de lancement qui ont rapidement suivi ont permis d’initier les échanges entre les parties prenantes de ces projets et de préciser certaines actions proposées. Les agendas et présentations de ces réunions de lancement sont respectivement disponibles ici : PC7, PC8 et PC9. Les travaux proposés dans le cadre de ces projets-ciblés et discutés ci-dessus permettront, à l’horizon de la fin du programme TRACCS, de réaliser des avancées significatives sur la compréhension du système climatique et sa modélisation, en particulier en termes de son bilan d’eau et d’énergie, ses cycles du carbone et autres composés, et leurs interactions. L’information climatique qui découle des modèles de climat au cœur de TRACCS en sera de meilleure qualité, et son incertitude sera mieux comprise et mieux quantifiée, notamment en lien avec le PC6 QUINTET.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence :
- PC7 IMPRESSION-ESM : ANR-22-EXTR-0008
- PC8 CYCL-ESM : ANR-22-EXTR-0009
- PC9 ISClim : ANR-22-EXTR-0010
Romain Roehrig1, Gaël Durand2, Yves Balkanski3 et Roland Séférian1
- CNRM, Météo-France, CNRS
- IGE, CNRS, Université Grenoble Alpes, CNRS, INRAE, IRD
- LSCE-IPSL, Université Paris-Saclay
Références
- Giorgi, F., 2019, Thirty Years of Regional Climate Modeling: Where Are We and Where Are We Going next? JGR Atmospheres, Vol. 124, Issue 11, p 5696-5723. doi/10.1029/2018JD030094
- Climate Change 2001 - The Scientific Basis, Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC)
En savoir plus
- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web QUINTET (PC6)
- Page web IMPRESSION-ESM (PC7)
- Page web CYCL-ESM (PC8)
- Page web ISClim (PC9)
- Page web LOCALISING (PC10)
- Agendas et présentations données lors des réunions de lancement
- CoCliCO - The tool to plan and manage our response to sea-level rise
Quelques enjeux et limites de la régionalisation pour les services climatiques
Les services climatiques visent à fournir des informations exploitables sur le climat et le changement climatique, afin d’aider les décideurs à planifier des actions d’adaptation. Ces actions impliquent la mise à jour de normes, l’engagement de ressources financières considérables, et des décisions avec des conséquences à long terme. Il est donc impératif que ces décisions reposent sur des projections climatiques au meilleur niveau de l’état de l’art de la modélisation climatique, illustrant l’éventail complet des futurs possibles. Ces futurs sont déterminés par les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre, elles-mêmes influencées par les choix sociétaux en matière de politiques climatiques.
Les données issues des simulations CMIP (Coupled Model Intercomparison Project, Eyring et al. 2016), basées sur des modèles climatiques globaux, jouent un rôle essentiel dans l’évaluation des changements climatiques futurs possibles. Ces modèles simulent l’évolution du climat à l’échelle de la planète en réponse à différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, à des résolutions spatiales de l’ordre de 100 à 200 km. Toutefois, ces résolutions relativement grossières ne permettent pas une représentation fine des processus régionaux, ce qui limite leur pertinence pour des études localisées ou sectorielles. C’est ici qu’intervient la nécessité de la régionalisation.
Les projections climatiques régionales jouent un rôle fondamental dans l’élaboration de services climatiques en venant affiner les simulations globales à une échelle plus pertinente pour les territoires. La régionalisation, qu’elle soit réalisée par descente d’échelle dynamique via des modèles régionaux de climat (RCM) ou par descente d’échelle statistique, permet de produire, à l’intérieur de domaines géographiques limités, des variables climatiques sur une grille de résolution généralement inférieure à 30 km.
D’après le 6ème rapport du GIEC (Pörtner et al., 2022), les résultats des initiatives coordonnées de modélisation régionale du climat, telles que CORDEX, complètent les modèles climatiques globaux de l’exercice CMIP et apportent une valeur ajoutée, en particulier dans les zones à topographie complexe, les zones côtières et les petites îles, ainsi que pour les phénomènes extrêmes. La valeur ajoutée des RCM réside dans leur capacité à représenter les variables climatiques avec une répartition spatiale adaptée aux spécificités locales. En particulier, ils offrent une meilleure représentation des caractéristiques topographiques (relief, trait de côte, couvert végétal, etc.), ainsi que de certains phénomènes de méso-échelle et des processus atmosphériques associés, comme les cyclones ou les vents régionaux. A titre d’exemple, la figure représente le relief de la Corse pour des modèles de résolution allant de 140 à 2,5 km. Elle illustre clairement comment l’augmentation de la résolution permet une meilleure représentation des pentes abruptes et des vallées profondes, caractéristiques de l’orographie complexe de l’île (Cortés-Hernández et al., 2024). Grâce à cette meilleure résolution à fine échelle, il devient possible de mieux appréhender la complexité des processus locaux et de produire des informations climatiques directement exploitables à l’échelle des territoires où des décisions concrètes doivent être prises.
Les services climatiques français bénéficient de l’importante disponibilité des projections climatiques régionales produites dans le cadre de l’exercice multi-modèles EURO-CORDEX (Jacod et al. 2014). Plus d’une centaine de projections climatiques régionales ont été produites sur un domaine qui couvre la France hexagonale à une résolution de 12 km, selon 3 scénarios d’émissions de gaz à effet de serre contrastés (RCP2.6, RCP4.5 et RCP8.5). Ces données constituent une base d’une richesse inégalée pour le développement de services climatiques. Elles sont l’élément central de la chaîne de production des données pour de nombreux services climatiques européens (par ex: Soubeyroux et al. 2021, Fischer et al. 2022). Le plus souvent, un sous-ensemble de projections est sélectionné selon divers critères de qualité et disponibilité, puis des corrections de biais sont appliquées pour produire des indicateurs d’impact adaptés à différents secteurs, tels que l’agriculture, l’énergie ou la gestion des incendies de forêt. Ces indicateurs sont mis à disposition via des portails permettant la visualisation ou le téléchargement des données. Les données régionales corrigées permettent également de forcer des modèles d’impact, qui ont besoin en entrée de variables climatiques avec la bonne quantité, au bon endroit et au bon moment.
Dans les années à venir, le développement des modèles régionaux de climat va permettre de répondre à des enjeux croissants liés au changement climatique, notamment par l’augmentation de leur résolution et de leur complexité.
L’augmentation des résolutions spatiales et temporelles, vers de nouveaux modèles kilométriques et horaires (CP-RCM), permet déjà de mieux représenter les événements extrêmes qui ont des conséquences majeures pour de nombreuses activités et écosystèmes. En particulier, les extrêmes de précipitations bénéficient d’une représentation explicite de la convection profonde (Caillaud et al. 2021, Pichelli et al. 2021). Parallèlement, la résolution horaire permet de répondre à des questions auxquelles il n’était pas possible de répondre jusqu’alors. Par exemple, étudier la possibilité de modifier la planification d’activités de plein air exposées à des températures trop élevées en journée, notamment certains travaux publiques ou rencontres sportives, requiert des données à l’échelle horaire. D’autres secteurs, comme l’industrie éolienne, demandent des données à des fréquences encore plus élevées, telles que des mesures de vent instantanées. Notons que pour bâtir de nouveaux services climatiques basés sur de telles variables, un des défis importants réside dans la disponibilité de jeux d’observations de référence à haute résolution, de bonne qualité, et avec une profondeur temporelle suffisante pour évaluer les modèles et appliquer des méthodes de correction de biais.
L’amélioration de la complexité des modèles, notamment par l’intégration de nouveaux processus en œuvre dans un monde anthropisé, offre aussi des opportunités significatives pour étudier de nouveaux impacts et répondre aux besoins de nouveaux secteurs. Le couplage avec l’océan permettra d’évaluer l’élévation du niveau de la mer et ses impacts sur les territoires d’outre-mer et les petites îles (Evans et al. 2024). Citons également l’intégration des changements liés aux villes (Lemonsu et al. 2023) et à l’occupation des sols, ainsi que la représentation réaliste du cycle de l’eau, incluant les interactions avec les systèmes humains tels que l’irrigation. Avec un plus grand nombre de processus pris en compte, il devient possible de modéliser l’impact des mesures d’adaptation, offrant la possibilité d’explorer des scénarios « et si ... » pour tester différentes options d’adaptation et évaluer leurs retours sur le climat local. En développant ces capacités, les modèles régionaux de climat peuvent soutenir une prise de décision éclairée face aux défis posés par le changement climatique, contribuant ainsi à une meilleure planification des actions d’adaptation à l’échelle des territoires.
Si tous ces développements ouvrent des perspectives prometteuses pour l’amélioration des services climatiques, ils s’accompagnent néanmoins d’un coût numérique très important. Pour éviter une explosion de ces coûts, la modélisation climatique régionale utilise deux leviers : limiter le nombre de simulations et réduire la durée des simulations. Cependant, ces choix méthodologiques constituent des limitations significatives pour la quantification des incertitudes associées aux projections climatiques.
Premièrement, limiter le nombre de simulations implique souvent de ne produire qu’un membre par modèle, ce qui constitue une faiblesse en matière d’échantillonnage. En particulier, il est alors impossible d’estimer l’incertitude associée à la variabilité interne. Or, le rôle des services climatiques est de fournir des éclairages sur tous les futurs possibles, en tenant compte à la fois de la réponse au changement climatique et de la variabilité interne, tout en étant capables de séparer ces deux contributions. Par exemple, dans le cadre d’une communication envers les décideurs, il est essentiel de quantifier la part des changements qui peut être évitée par des actions d’atténuation, et la part d’incertitude irréductible qui est due à la variabilité interne. D’autre part, les ensembles mono-membres ne permettent pas de couvrir l’ensemble des futurs possibles, notamment en ce qui concerne les événements extrêmes rares, qui revêtent une grande importance pour le secteur du risque. Pour cela, des ensembles de grande taille seraient requis afin d’échantillonner des événements de faible probabilité mais de fort impact.
La deuxième limitation provient de la réduction de la durée des simulations. Des simulations de courte durée sont aussi une faiblesse en matière d’échantillonnage des extrêmes. De plus, des simulations courtes restreignent la possibilité d’appliquer des méthodes de contraintes observationnelles. Ces méthodes consistent à combiner les simulations des modèles avec des observations historiques pour estimer des plages de changements futurs cohérentes avec les observations (Ribes et al. 2021). Introduites dans le 6ème rapport du GIEC (IPCC, 2021) pour la température moyenne globale, elles s’étendent actuellement à d’autres variables et à des échelles régionales (Qasmi and Ribes 2021, Ribes et al. 2022). Les observations devenant de plus en plus informatives à mesure que le changement climatique observé s’intensifie, on peut s’attendre à une utilisation croissante de ces méthodes dans le futur.
En résumé, répondre aux enjeux des services climatiques implique d’augmenter la résolution, la complexité, le nombre et la durée des projections climatiques régionales. Cependant, cette ambition soulève des questions importantes concernant l’empreinte carbone associée à la modélisation climatique. C’est ici que les approches basées sur des méthodes statistiques, l’intelligence artificielle (Doury et al. 2022) et l’élaboration de scénarios narratifs (Shepherd et al. 2018) prennent tout leur sens. Ces stratégies visent à optimiser les processus de modélisation, le design des ensembles et l’analyse des incertitudes. Espérons qu’elles permettent à l’avenir de réduire l’impact environnemental de la production des simulations tout en accroissant la fiabilité des projections climatiques.
Après l’étape de production des données vient celle de l’évaluation. Si l’augmentation de la résolution permet souvent de diminuer les biais climatologiques des modèles, la valeur ajoutée en terme de tendance est moins évidente. A titre d’exemple, sur le territoire métropolitaine, des incohérences ont été mises en évidence entre le réchauffement simulé par les projections climatiques régionales et les observations sur les dernières décennies d’une part, entre les projections climatiques régionales et globales dans le futur d’autre part. La compréhension de ces incohérences fait encore l’objet de recherches, mais plusieurs études pointent vers des défauts dans la mise en œuvre des RCM (Schwingshackl et al., 2019 ; Boé et al., 2020, Taranu et al., 2022). La non-prise en compte de l'évolution du forçage en aérosols par la majorité des RCM et les différences de physique entre GCM et RCM ont notamment été suggérées comme étant responsables d'une grande partie des divergences. De telles incohérences sapent la confiance que les décideurs et le grand public accordent aux projections climatiques. C’est pourquoi il est essentiel de les comprendre et de savoir comment communiquer en présence d’informations contradictoires.
Enfin, la dernière étape vers la conception d’un service climatique, est le passage de la donnée climatique à l’information climatique pertinente pour les utilisateurs des services climatiques. Cette étape est discutée dans le Chapitre 10 du 6ème rapport du GIEC (IPCC, 2021) à travers le concept de “distillation” décrit comme le processus de synthèse des informations sur le changement climatique à partir de diverses sources (observations, modèles, littérature, compréhension des processus, experts) tout en tenant compte du contexte des utilisateurs et des valeurs de tous les acteurs concernés. Cette tâche est d’autant plus complexe que la quantité de données produites est grande, ainsi que leur diversité. Elle constitue un nouveau challenge qui implique de développer des méthodologies permettant de synthétiser les différentes sources d’informations et les messages contrastés qui peuvent en découler.
Ce travail bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-22-EXTR-0011
Lola Corre et Samuel Somot
CNRM, Météo-France, CNRS
Références
- Caillaud, C., et al., 2021, Modelling Mediterranean heavy precipitation events at climate scale : an object-oriented evaluation of the CNRM-AROME convection-permitting regional climate model. Clim Dyn 56, 1717–1752. https://doi.org/10.1007/s00382-020-05558-y
- Doury, A., et al., 2022, Regional climate model emulator based on deep learning: concept and first evaluation of a novel hybrid downscaling approach. Climate Dynamics, 10.1007/s00382-022-06343-9. insu-03863754
- Evans, J.P., et al., 2024, Higher-resolution projections needed for small island climates. Nat. Clim. Chang. 14, 668–670. https://doi.org/10.1038/s41558-024-02028-9
- Eyring, V., et al., 2016, Overview of the Coupled Model Intercomparison Project Phase 6 (CMIP6) Experimental Design and Organization. Geoscientific Model Development 9 (5): 1937–58. https://doi.org/10.5194/gmd-9-1937-2016.
- Fischer, A. M., et al., 2022, Climate Scenarios for Switzerland CH2018 – Approach and Implications. Climate Services 26 (April):100288. https://doi.org/10.1016/j.cliser.2022.100288.
- IPCC, 2021: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, edited by: Masson-Delmotte, V., Zhai, P., Pirani, A., Connors, S.L., Péan, C., Berger, S., Caud, N., Chen, Y., Goldfarb, L.,Gomis, M. I., Huang, M., Leitzell, K., Lonnoy, E., Matthews, J. B. R., Maycock, T. K., Waterfield, T., Yelekçi, O., Yu, R., and Zhou, B., Cambridge University Press, 553–672, https://doi.org/10.1017/9781009157896.006, 2021.
- Pörtner, H.-O., et al., 2022, Technical Summary. [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Tignor, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem (eds.)]. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 37–118, doi:10.1017/9781009325844.002.
- Jacob, Daniela, et al., 2014, EURO-CORDEX: New High-Resolution Climate Change Projections for European Impact Research. Regional Environmental Change 14 (2): 563–78. https://doi.org/10.1007/s10113-013-0499-2.
- Lemonsu A., et al.,2023, What added value of CNRM-AROME convection-permitting regional climate model compared to CNRM-ALADIN regional climate model for urban climate studies ? Evaluation over Paris area (France). Climate Dynamics, 1-19. https://doi.org/10.1007/s00382-022-06647-w
- Pichelli, E., et al., 2021, The first multi-model ensemble of regional climate simulations at kilometer-scale resolution part 2: historical and future simulations of precipitation. Clim Dyn 56, 3581–3602. https://doi.org/10.1007/s00382-021-05657-4
- Qasmi, Saïd, and Aurélien Ribes, 2022, Reducing Uncertainty in Local Temperature Projections’. Science Advances 8 (41): eabo6872. https://doi.org/10.1126/sciadv.abo6872.
- Ribes, A., et al., 2022, An Updated Assessment of Past and Future Warming over France Based on a Regional Observational Constraint. Earth System Dynamics 13 (4): 1397–1415. https://doi.org/10.5194/esd-13-1397-2022.
- Ribes, A., et al., 2021, Making Climate Projections Conditional on Historical Observations. Science Advances 7 (4): eabc0671. https://doi.org/10.1126/sciadv.abc0671.
- Shepherd, T.G., et al., 2018, Storylines: an alternative approach to representing uncertainty in physical aspects of climate change. Climatic Change 151, 555–571. https://doi.org/10.1007/s10584-018-2317-9
- Soubeyroux, J.-M., et al., 2021, Les nouvelles projections climatiques de référence DRIAS 2020 pour la métropole. http://www.drias-climat.fr/document/rapport-DRIAS-2020-red3-2.pdf
En savoir plus
- Site web PEPR TRACCS - TRAnsformer la modélisation du Climat pour les services ClimatiqueS
- Page web LOCALISING (PC10)
- CMIP (Coupled Model Intercomparison Project
- CORDEX : COordinated Regional Climate Downscaling EXperiment
- EURO-CORDEX
Infrastructure de recherche
CLIMERI-France
Les simulations internationales coordonnées
Contribution de la communauté française à la nouvelle phase de l’initiative CORDEX
Le programme international CORDEX (COordinated Regional Downscaling EXperiment) du WCRP (World Climate Research Programme) a démarré en 2009. Il vise à faire progresser et à coordonner à l’échelle internationale la science et l’application des méthodes de régionalisation du climat et plus spécifiquement à :
- mieux comprendre les phénomènes climatiques régionaux et locaux pertinents, leur variabilité et leurs changements, par la descente d’échelle,
- évaluer et améliorer les modèles et techniques de régionalisation du climat,
- produire des ensembles coordonnés de projections régionales à échelle fine dans le monde entier et
- favoriser la communication et l’échange de connaissances avec les utilisateurs d’informations climatiques régionales.
Pour faire court, CORDEX est souvent considéré comme le CMIP des modèles régionaux de climat et des techniques de descente d’échelle statistique. La communauté française a largement contribué aux premiers exercices de modélisation proposés par CORDEX, basés sur la descente en échelle de la réanalyse ERA-Interim et des projections proposées par les modèles globaux de climat de l’exercice CMIP5. Un bilan de cette contribution est disponible dans la E-Lettre CLIMERI-France de 2022. Récemment, et plus précisément depuis la publication du 6ème rapport du GIEC, le programme CORDEX est entré dans une nouvelle phase et il est temps de faire un état des lieux de la contribution française à cet exercice international, qui a maintenant atteint sa maturité et obtenu la reconnaissance internationale à travers une longue liste de publications, une contribution majeure au dernier rapport du GIEC et à de nombreux services climatiques nationaux et internationaux.
Dans cette nouvelle phase, le programme CORDEX est devenu une des activités du nouveau programme RIfS (Regional Information for Society) du WCRP tout en gardant les mêmes objectifs généraux. Cette nouvelle phase de CORDEX s’appuie sur trois principaux piliers :
- les domaines géographiques qui couvrent l’ensemble des zones continentales du globe et certaines parties de l’océan mondial (Méditerranée, Arctique, Golfe du Mexique) et qui existent depuis le lancement de l’initiative. Sur les domaines, au-delà de l’amélioration du protocole de simulation et des modèles eux-mêmes, l’exercice prévoit une descente d’échelle de la réanalyse ERA5 pour les simulations dites d’évaluation et des modèles globaux de climat de l’exercice CMIP6 pour les simulations dites de projection.
- les FPS (Flagship Pilot Study) qui visent à répondre à des questions scientifiques frontières jamais abordées dans CORDEX en mettant en place une approche de modélisation spécifique. Les FPS ont une durée de vie limitée et la première vague est maintenant terminée.
- les TF (Task Forces), nouvel outil au sein de CORDEX, sont des structures de petite taille à durée de vie courte (6 mois à 1 an). Elles cherchent à développer de nouvelles activités techniques ou scientifiques au sein de CORDEX en préparant une vision stratégique sur une question particulière avant le lancement d’initiatives plus ouvertes et plus longues. Les TF agissent pour conseiller les décisions stratégiques du Science Advisory Team de CORDEX.
Les laboratoires de recherche français contribuent à la coordination de deux domaines CORDEX en étant les points de contact (POC, Points of Contacts) pour le domaine méditerranéen (S. Somot, CNRM) et le domaine Antarctique (Christoph Kittel, IGE). Ils contribuent également par des simulations numériques au domaine européen (CNRM, modèle ALADIN), au domaine Antarctique (IGE, modèle MAR), au domaine Amérique Centrale (CNRM, ALADIN), au domaine Australasie (CNRM, ALADIN), au domaine Amérique du Sud (IGE, WRF, RegIPSL), au domaine Méditerranée (modèles couplés régionaux pour le CNRM avec RCSM, IPSL avec RegIPSL, LMD avec LMDZ-MED), au domaine Asie du Sud-Est (LEGOS, modèle couplé régional RegCM, SYMPHONIE). Notons que les simulations réalisées dans ce cadre ont vocation à intégrer les services climatiques nationaux en cours de développement et les démonstrateurs de services climatiques au sein de TRACCS (PC2, PC3).
Concernant les FPS, l’IPSL contribue au FPS-LUCAS qui vise à étudier les impacts biophysiques robustes des changements d’usage des sols en Europe sur le climat, de l’échelle spatiale régionale à locale et de l’échelle temporelle des évènements extrêmes au multi-décennale. Par ailleurs, l’IPSL et le CNRM contribuent au FPS-URBRCC qui cherche à comprendre les effets des zones urbanisées sur le climat régional et les impacts du changement climatique régional sur les villes à l’aide d’expériences coordonnées avec des modèles régionaux de climat incluant une version améliorée du couvert urbain. Enfin, ENTROPIE, MARBEC, CNRM et UPF sont impliqués dans le lancement du nouveau FPS-IC-Pac qui vise à étudier le changement climatique sur les îles tropicales du Pacifique.
Les Task Forces sont actuellement en cours de consolidation et il est difficile de savoir exactement quelle sera la contribution finale de la communauté française à ces nouvelles thématiques dans CORDEX. A ce jour, le CNRM et MERCATOR co-pilotent la Task Force sur les projections régionales océaniques incluant la modélisation de la physique océanique, de la biogéochimie marine et de la glace de mer. Par ailleurs, le CNRM participe à la TF sur la descente d’échelle par intelligence artificielle. La contribution française à cette TF passera par l’expertise de long-terme en descente d’échelle statistique mais aussi par le développement récent des émulateurs statistiques de modèles régionaux de climat déjà mis en œuvre en Europe, en Amérique du Sud et en Antarctique. Le CNRM est également impliqué dans la TF dédiée à la préparation de CORDEX-CMIP7 et dans la TF CORDEX-CORE2 qui vise à développer des projections régionales homogènes sur l’ensemble des régions du monde en préparation du prochain rapport du GIEC. D’autres TFs n’incluent pas actuellement de partenaires français mais sont à suivre de près comme celle dédiée à la coordination mondiale des modèles régionaux de climat aux échelles kilométriques.
Dans cette nouvelle phase de CORDEX, la communauté internationale, incluant les efforts des laboratoires français, vise à fournir de nombreuses simulations numériques coordonnées à haute résolution, de nouvelles connaissances scientifiques sur les climats régionaux et leurs évolutions passées et futures ainsi que des informations climatiques locales fiables qui nourriront le 7ème cycle des rapports du GIEC, les rapports d’expertise régionaux et locaux et la prochaine génération des services climatiques.
Samuel Somot
CNRM, Météo-France, CNRS
En savoir plus
- E-Lettre CLIMERI-France 2022
- IPCC Interactive Atlas contenant les données CORDEX de la première phase
- CORDEX
- Med-CORDEX
- EURO-CORDEX
- FPS-URBRCC
- FPS-LUCAS
- Domaines CORDEX
- FPS CORDEX
- Contribution du CNRM à CORDEX
En route pour CMIP7 - De CMIP6 à CMIP7
Le projet de comparaison des modèles couplés (Coupled Model Intercomparison Project ou CMIP) a pour objectif de coordonner les efforts de la communauté pour répondre à des questions clés de la science du climat et de faciliter la fourniture de simulations multi-modèles pertinentes par le biais d'une infrastructure partagée. Les buts recherchés sont une compréhension physique des processus climatiques, l'analyse des impacts climatiques dans le but de s’adapter au changement climatique, et de fournir un socle pour des évaluations nationales et internationales du climat. CMIP, qui était à l'origine une phase ponctuelle d'intercomparaison et d'évaluation de modèles climatiques, évolue désormais, grâce à une meilleure coordination, vers un programme de modélisation climatique qui fonctionne sur un mode plus continu. L'activité repose sur la conception de protocoles expérimentaux, une infrastructure qui soutient la publication et l'accès aux données, et la fourniture progressive ou « accélérée » d'informations climatiques. CMIP6 avait introduit le concept de DECK (Diagnostic, Evaluation and Characterization of Klima), un jeu de simulations clés standardisées (piControl, amip, abrupt-4×CO2, 1pctCO2) qui permettent de caractériser un modèle. CMIP7 va étendre le DECK pour y inclure des expériences basées sur les émissions de CO2 (emission-driven) en sus des expériences basées sur les concentrations de CO2 (concentration-driven). CMIP7 va aussi apporter un soutien accru aux MIPs communautaires, une mise à jour périodique des forçages historiques et des demandes de diagnostic, ainsi qu’une collection d'expériences tirées des MIPs communautaires, appelée « AR7 Fast Track », pour appuyer le 7ème rapport d'évaluation du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat et les objectifs des services climatiques.
Les évolutions de CMIP7 répondent au retour d’expérience de CMIP6 et aux retours de la communauté scientifique au travers de plusieurs enquêtes. Les changements apportés au protocole et à l'organisation prennent en compte les préoccupations de la communauté en réduisant les difficultés associées à la production des simulations et de la fourniture de données, en facilitant un fonctionnement plus souple de la part de la communauté et en distinguant plus clairement les aspects du projet qui soutiennent la science, l'évaluation et le service. L'objectif de CMIP7 est donc à la fois de fournir un cadre qui permet de soutenir la recherche dans toute sa diversité et d’évoluer d’une intercomparaison plus épisodique et ponctuelle vers une participation plus continue et facile à mettre en œuvre grâce à une infrastructure plus durable.
Plusieurs évolutions sont à noter. A la différence de CMIP6, les simulations historiques (historical ou esm-hist), qui sont le plus souvent interprétées dans le contexte des expériences DECK, seront désormais incluses dans le DECK de CMIP7 car elles sont essentielles pour caractériser le comportement du modèle par rapport aux observations de la période historique. Les protocoles restent essentiellement inchangés par rapport à CMIP6, bien que des conseils plus détaillés pour les modèles simulant les cycles biogéochimiques soient fournis.
Un problème récurrent du protocole CMIP est qu’il ne spécifie pas entièrement les perturbations radiatives à l’origine du changement climatique : chaque modèle « distille » en effet les émissions ou les concentrations d’aérosols et de gaz à effet de serre pour en déduire un forçage radiatif. Pour pallier ce problème, CMIP7 élargit modestement le DECK pour caractériser le forçage radiatif effectif spécifique à chaque modèle (comme cela a été déjà fortement encouragé dans CMIP6). Trois expériences avec le modèle d’atmosphère, forcé par des champs de température de surface de la mer et de concentration de glace de mer préindustrielle venant de la simulation de contrôle (piControl), sont donc ajoutées au DECK conformément aux protocoles élaborés pour CMIP6 par le Radiative Forcing Model Intercomparison Project (RFMIP).
Compte tenu de l’importance croissante des modèles couplés carbone-climat (ou ESM) en lien avec le budget carbone et des questions de stabilisation du climat, le « AR7 Fast Track » est construit pour faciliter les simulations des modèles de système Terre en mode emission-driven (plutôt qu’avec des concentrations fixes) autant que faire se peut. Des recommandations vont être faites pour faciliter la mise en œuvre de ces expériences. Celles-ci répondent à la fois aux besoins directs des rapports d’évaluation sur le climat à venir comme l’AR7, mais aussi aux besoins plus applicatifs des communautés travaillant sur les impacts et les stratégies d’adaptation telles que ISIMIP et VIACS, ainsi qu’aux activités de descente d’échelle dynamique et statistique telles que CORDEX. Les objectifs de CMIP7 comprennent également les aspects plus classiques de l’évaluation systématique en ce qui concerne la caractérisation de la diversité des modèles, l’attribution du rôle de mécanismes particuliers dans la réponse forcée du climat, et la compréhension des processus conformément aux questions de recherche identifiées par CMIP7 (voir Dunne et al., 2025).
L’utilisation d’un ensemble de forçages normalisés et bien documentés a été imposée pour la première fois pour les simulations DECK et historiques de CMIP6. Pour CMIP7, une task team sur les forçages réunit des fournisseurs de données, des modélisateurs et d’autres utilisateurs pour produire et distribuer les forçages du DECK en temps utile via le projet input4MIPs. Des progrès considérables ont été réalisés depuis dans la production et la mise à disposition de ces forçages historiques qui seront utilisés pour piloter les simulations du DECK et de l’AR7 Fast Track.
En reconnaissance de la valeur persistante et de la portée croissante du CMIP, et en réponse aux demandes grandissantes d’une base d’utilisateurs de plus en plus importante, le Programme Mondial de Recherche sur le Climat (PMRC, WCRP en anglais) a mis en place un bureau international pour CMIP (CMIP-IPO) en 2020 L’Agence spatiale européenne (ESA) a remporté l’appel d’offres pour accueillir le CMIP-IPO, qui a démarré ses activités en mars 2022 sur son site britannique. La mise à disposition de personnels à temps plein permet de soutenir le développement et la mise en œuvre du programme CMIP avec un haut niveau d’investissement. CMIP s’est ainsi institutionnalisé et il est désormais en conformité avec les normes de transparence, d’inclusion et d’équité, avec une documentation complète des discussions et des décisions, la coordination des différents groupes et équipes de travail avec des termes de référence clairs, et une culture plus ouverte permettant à beaucoup plus de scientifiques (y compris les chercheurs en début de carrière) de participer à ce travail communautaire.
Avec du personnel en place pour gérer les parties prenantes ainsi que la logistique des réunions, le CMIP-IPO a également permis davantage de consultations, et coordonne des équipes de travail (task teams) à durée limitée (de quelques mois à quelques années) constituées pour résoudre des problèmes particuliers. Il s’agit notamment d’équipes chargées des forçages climatiques, de l’accès aux données, de la citation des données, des demandes de données, de l’évaluation comparative des modèles, de la documentation des modèles et de la conception d’ensembles stratégiques. Des groupes de travail plus restreints sur le spinup, la quantification et la réduction de l’empreinte carbone de CMIP, le vocabulaire contrôlé ou encore le contrôle qualité des simulations climatiques, sont en cours de mise en place. Des personnels de l’IPSL et du CNRM sont largement engagés dans ces équipes de travail.
Une publication est en préparation pour décrire l’ensemble des évolutions entre CMIP6 et CMIP7, ainsi que les expériences qui seront au cœur de l’AR7 Fast Track.
Ce texte est une adaptation de l’article Dunne et al. (2024)
Référence
- John P. Dunne, et al. (dont Olivier Boucher), An evolving Coupled Model Intercomparison Project phase 7 (CMIP7) and Fast Track in support of future climate assessment, EGUsphere [preprint], https://doi.org/10.5194/egusphere-2024-3874, 2024.
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DEPHY : Quoi de neuf en 2023-2024 ?
Changement de statut
L’année scolaire 2023-2024 a été marquée pour Dephy par un changement de statut. Dephy était depuis 2019 un Groupement de Recherche (GdR) du CNRS. Ces structures ayant vocation à disparaître de l’organisation administrative du CNRS, Dephy est devenu en 2024 un GdR de l’infrastructure de recherche CLIMERI-France. Peu de changement pour les activités du GdR dans la pratique, mais l’enveloppe de financement de Dephy passe à présent par CLIMERI-France, et un membre du comité de pilotage, Frédéric Hourdin, a intégré le Conseil Scientifique de CLIMERI-France pour y représenter Dephy. CLIMERI couvre scientifiquement les aspects liés à la simulation du climat et Dephy permettra de faire le pont entre ces activités et la prévision numérique du temps, spécificité de Météo-France qui n’a pas vocation à être couverte par Climeri-France. Le premier conseil des tutelles a eu lieu en juin dernier et a permis d’acter les changements de statuts et d’organisation.
Les ateliers Dephy : le rendez-vous devenu incontournable en deux ans
Au fil de la longue histoire de Dephy, les liens entre chercheur.e.s et ingénieur.e.s des laboratoires français réunis dans Dephy se sont renforcés, et de nombreuses collaborations ont émergé, sous la forme de projets ANR ou de contributions à des projets internationaux. Une des originalités des dernières années a été de s’interroger sur la meilleure façon de travailler et progresser ensemble, de partager des idées, de les implémenter et de les tester. Les semaines d’ateliers Dephy qui ont eu lieu en 2023 à Fréjus puis en 2024 à Lège Cap Ferret, inspirées des résidences annuelles du collectif EDStar en sciences pour l’ingénieur, sont une proposition effective pour réinventer les modalités du travail collectif. Ces ateliers sont devenus en deux ans une évidence pour le collectif Dephy. Ils ont réuni 32 personnes en 2023 et 40 en 2024. La prochaine édition est d’ores et déjà programmée du 19 au 23 mai 2025 à Fréjus. Un encart ci-dessous explicite davantage les attendus et le fonctionnement de ces ateliers en revenant en particulier sur la session de 2024.
Des outils au service du développement des paramétrisations
Les développements continuent pour améliorer et enrichir les outils collaboratifs de la communauté Dephy. La mise au format commun des forçages des cas d’étude 1D disponibles continue, avec notamment un nouveau cas issu des observations de la campagne MOSAI (travaux portés par Emilie Bernard au CNRM et Alice Maison au LMD) ou des cas idéalisés permettant d’étudier la sensibilité de la convection au cisaillement, pour lesquels des simulations haute résolution sont réalisées avec MESO-NH dans le cadre de la thèse de Gaston Bidou (CNRM). Des scripts sont également en cours de développement pour systématiser la création des fichiers d’entrée de MESO-NH à partir des fichiers au format commun, la lecture du format commun étant déjà opérationnelle pour les modèles ARPEGE et LMDZ. C’est également l’occasion de mettre à jour et enrichir les simulations LES de référence pour différents cas, notamment les cas de couche limite convective avec des domaines de 25 km à 25 m de résolution.
Les développements continuent également autour de l’outil de calibration semi-automatique et d’exploration paramétrique HighTune Explorer (htexplo). Cet outil a été conçu à l’origine, dans le cadre du projet ANR HighTune, pour accélérer le tuning d’un modèle en 1D, sur la base de comparaisons SCM1/LES2 et la réalisation de centaines de simulations lancées au cours de vagues successives, en alternance avec des étapes de construction d’émulateurs statistiques et d’history matching. Des ateliers récurrents ont été organisés toute l’année sur les processus gaussiens pour s’approprier plus précisément le cadre théorique sous-jacent à cet outil. Un travail important a été réalisé à l’été 2024 sur la réécriture des scripts de calcul des métriques et la mise en place d’un contrôle qualité indispensable à la stratégie d’intégration continue sur branche unique. Côté CNRM, ces outils ont été portés sur le supercalculateur de Météo-France, au plus près des simulations 3D. Les développements associés ont vocation à être réintégrés dans la branche commune CNRM-IPSL.
Améliorations et ajustement des paramétrisations
Ces outils sont au cœur de plusieurs travaux de recherche autour de l’amélioration des paramétrisations physiques des modèles, notamment des travaux de thèse. Ainsi, au CNRM, Adrien Marcel a modifié et ajusté plusieurs composantes de la paramétrisation de la couche limite d’AROME, basée sur l’approche en Eddy-Diffusion/Mass-flux (EDMF), menant à des améliorations significatives de la représentation des nuages bas et des précipitations associées dans différents régimes (cumulus, stratocumulus, transition). Nathan Philippot développe un modèle de brise de pente dans le formalisme EDMF en se basant sur l’analyse de simulations LES de cas d’études 1D dans lesquelles il a intégré différentes morphologies de relief. Quant à Manolis Perrot (LJK), il a complètement revisité le formalisme EDMF et l’a utilisé pour modéliser la convection océanique. Au LMD, Lamine Thiam a pu revisiter le lien entre énergie de soulèvement à la base des tours convectives et anomalie de température des poches froides en utilisant pour la première fois le cadre de tuning automatique en 1D/LES avec pour métriques cibles les propriétés des poches froides simulées dans des LES de convection profonde. Par ailleurs, dans le cadre de la thèse de Maëlle Coulon-Decorzens, des métriques radiatives calculées en offline sur des ensembles de sorties de modèles en version unicolonne ont également été introduites dans htexplo. Elles ont été utilisées pour évaluer pour la première fois les métriques radiatives à l’échelle de la colonne 1D d’un modèle de climat par rapport à des LES sur lesquelles ont été réalisés des calculs radiatifs de référence avec des approches Monte Carlo (logiciel htrdr). Léa Raillard a de son côté mis au point une meilleure représentation des nuages d’eau surfondue dont les paramètres sont en cours d’ajustement à l’aide d’htexplo. Par ailleurs, d’autres études s’attachent à utiliser des observations orientées processus pour guider les développements de paramétrisations. Valentin Wiener effectue des expériences d’ensembles aux paramètres perturbés, dont les configurations paramétriques sont obtenues avec htexplo, pour déterminer la sensibilité paramétrique de la représentation des vents catabatiques dans des simulations à aire limitée sur l’Antarctique avec ICOLMDZ. Ces simulations sont comparées à des données météorologiques et d’eddy-covariance in situ originales collectées l’année dernière en Terre Adélie. Audran Borella a quant à lui introduit une paramétrisation de la sursaturation par rapport à la glace évaluée grâce aux observations de traînées de condensation. Au LSCE, Niels Dutrievoz a développé une paramétrisation de la précipitation solide sous-maille dans LMDZ qui est en passe d’être évaluée grâce à des mesures isotopiques en Antarctique.
Au-delà de Dephy
Cette année, la communauté Dephy a présenté ses travaux lors de la journée Dephy des Ateliers de Modélisation de l’Atmosphère à Météo-France, dédiés à la réunion de lancement du PEPR3 TRACCS4. La communauté Dephy est impliquée dans les Projets-Ciblés 6 (QUINTET5) et 7 (IMPRESSION-ESM6) de TRACCS sur les aspects paramétrisations physiques des processus atmosphériques et stratégies d’ajustement des paramètres des modèles globaux. Les activités Dephy ont également été représentées lors de plusieurs conférences (e.g., GEWEX Open Science Conference à Sapporo en juillet, Workshop on Model Uncertainty à Oxford en septembre), ainsi qu’à l’atelier LEFE sur les fines échelles océaniques organisé à Brest début octobre. Un chapitre d’encyclopédie a par ailleurs été rédigé sur le rôle des paramétrisations physiques dans la compréhension des interactions d’échelles dans l’atmosphère.
1 Single-Column Model
2 Large-Eddy Simulation
3 Programmes et équipements prioritaires de recherche
4 Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques
5 QUantifying uncertaINties, Tuning and Equilibrating climaTe models
6 IMproving the physical PRocESS representatION in Earth System Models
Les ateliers en résidence Dephy : Quesaco ?Depuis deux ans, les ateliers en résidence sont devenus une modalité incontournable du travail et de l’animation scientifique du GdR Dephy. Ces ateliers, inspirés des résidences annuelles du collectif EDStar en sciences pour l’ingénieur, sont une proposition effective pour réinventer les modalités du travail collectif. L’idée est de substituer aux réunions, présentations et discussions, des ateliers de travail en groupes, au tableau ou sur nos ordinateurs. Plusieurs formes sont possibles : cours, tutoriel, brainstorming, écriture d’un modèle physique pour un processus en particulier, analyse de données, codage d’une nouvelle paramétrisation… L’idée fondamentale est d’oser se mettre en déséquilibre ensemble, avec la conviction que c’est ce mécanisme qui favorise et fait vivre la recherche. Ces ateliers participent aussi à la formation de tous et au transfert de connaissances entre différentes communautés, à la manière d’une école d’été pendant laquelle les jeunes, mais aussi les moins jeunes, se forment ensemble sur les paramétrisations. La première demi-journée est dédiée à un brainstorming visant à faire émerger des idées d’ateliers pour la semaine et à ébaucher un programme qui est réajusté en début de chaque journée. L’atelier 2024 a réuni 40 participant.e.s essentiellement des laboratoires de l’IPSL (18 dont 16 LMD et 2 LSCE) et de l’OMP (20 dont 19 CNRM et 1 LAERO), mais aussi un océanographe du LJK et une sociologue de l’ENS de Lyon. Cette année près de la moitié des participant.e.s venaient pour la première fois à un atelier Dephy ! Les objets de recherche ont été variés : paramétrisation des effets de brises, microphysique froide, contraintes des premier et second principes de la thermodynamique sur les paramétrisations de la turbulence, formation autour de la mise en place de cas d’étude 1D au format commun pour tester les modèles, initiation à l’outil de tuning semi-automatique htexplo, exploitation des données collectées pendant la campagne d’observation MOSAI (Model and Observation for Surface-Atmosphere Interactions), couplage de LMDZ avec la physique Méso-NH désormais externalisée PHYEX incluant cette année le code de rayonnement ecRad et le couplage avec un modèle simplifié de surface, développement d’un cadre idéalisé pour simuler les interactions advection / condensation / microphysique, couplage entre le schéma de rayonnement et le schéma de condensation sous maille pour diagnostiquer l’hétérogénéité horizontale de l’eau nuageuse… Rendez-vous en 2025 !
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Catherine Rio1, Najda Villefranque1, Frédéric Hourdin2, Fleur Couvreux1 et Romain Roehrig1 pour la communauté DEPHY
1 - CNRM, Météo-France, CNRS
2 - LMD-IPSL, Sorbonne Université, CNRS
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Les projets européens liés
ESM2025 : Earth System Models for the Future
ESM2025 est un projet de recherche européen sur la modélisation numérique du système Terre, coordonné par Roland Séférian au Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM, Météo-France - CNRS). Prévu jusqu’en 2025, le projet réunit 22 institutions de sept pays européens et une université australienne.
ESM2025 est en train de développer cinq nouveaux modèles européens du système Terre (ESM), un modèle d’évaluation intégrée (IAM) avec une meilleure représentation de la variabilité du système Terre, ainsi qu’un modèle simplifié du système Terre open-source. Un ensemble amélioré de diagnostics pour évaluer les composantes clés du système climatique, via ESMValTool, sera également disponible. Cette nouvelle génération de modèles est spécifiquement conçue pour mieux répondre aux enjeux politiques clés liés à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique.
Les principales innovations du projet incluent en premier lieu l’intégration de nouveaux processus physiques, biogéochimiques, biophysiques et des aérosols qui étaient soit non représentés, soit traités de manière très rudimentaire. L’intégration de ces processus a permis une meilleure prise en compte des interactions et des couplages entre des composantes des modèles tels que le carbone et le méthane, ou l’azote, permettant aux nouveaux modèles d’être pilotés par les émissions des principaux gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O). Le projet a également permis l’intégration de la représentation des calottes glaciaires dans ces nouvelles versions de modèles de climat, offrant ainsi une représentation plus réaliste de la hausse du niveau de la mer et des différentes interactions calottes-climat. Ensemble, ces avancées conduiront à une représentation plus complète de la réponse du climatique aux émissions anthropiques et aux changements d’utilisation des sols.
ESM2025 innove également en proposant un cadre interdisciplinaire de modélisation, avec une cohérence renforcée de la modélisation du climat et des processus liés à l’atténuation entre les ESMs et les IAMs. Cela apportera des informations scientifiques essentielles pour soutenir l’action publique en faveur de politiques climatiques ambitieuses en lien avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Tout au long du projet, une forte implication des parties prenantes a été favorisée, avec des activités et des ressources adaptées aux décideurs, au secteur éducatif et au grand public, garantissant une diffusion efficace et large des avancées scientifiques sur la modélisation du climat.
Mariana Rocha1, et Roland Séférian2
CNRM, Météo-France, CNRS
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Le projet européen OptimESM
OptimESM est un projet européen s’étendant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2027. Ses objectifs permettent de soutenir la dynamique internationale mise en place par le programme mondial (PMRC - WCRP en anglais) de recherche sur le climat pour :
- développer la prochaine génération de modèles Système Terre, qui sera utilisée pour l’exercice CMIP7,
- produire des projections climatiques à long terme qui répondent mieux aux besoins politiques et sociétaux, en fournissant des résultats tant à l’échelle globale qu’à l’échelle régionale,
- étudier le risque de changements abrupts du système terrestre associés à plusieurs niveaux de réchauffement globale et les impacts régionaux découlant de tels événements.
OptimESM réunit ainsi les groupes de modélisation européens développant les modèles de climat EC-Earth, HadGEM, IPSL-ESM et CNRM-ESM, ainsi que des groupes de modélisation américains, canadiens, sud-africains, japonais et indiens.
Ce projet soutient ainsi le développement des prochaines versions des modèles IPSL-ESM et CNRM-ESM, les deux groupes étant fortement engagés dans le WP1, coordonné par Julie Deshayes (IPSL) et Roland Séférian (CNRM). L’IPSL est également engagé dans le WP2 avec une équipe participant à l’élaboration de scénarios économiques à long-terme. Le WP3 coordonne la production des simulations, avec une première phase basée sur des scénarios idéalisés et les modèles existants en début de projet, et une seconde phase basée sur les scénarios produits par le WP2 et les nouveaux modèles développés pour la prochaine phase de CMIP7. Il en fera également les premières analyses, tandis que le WP4 est chargé de l’évaluation des ESM et le WP5 de l’étude d’événements abrupts. Les groupes français ne sont en revanche pas engagés dans le WP6 (production d’information régionale). Le CNRM est également engagé dans le WP7 pour faciliter les collaborations au sein de la communauté de recherche sur le climat à l’échelle internationale.
OptimESM nous permet de rester en contact avec les collègues européens et internationaux développant des modèles de Système Terre différents des nôtres mais qui emploient des logiciels communs (par exemple le modèle d’océan, NEMO), de partager des méthodologies de développement et d’analyse, et d’effectuer de premières comparaisons des nouveaux modèles. Le calendrier de l’exercice FastTrack de CMIP7 n’était pas connu à l’époque de la conception du projet, mais il soutient de fait nos développements pour cette nouvelle phase de CMIP.
Julie Deshayes
LOCEAN-IPSL
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TipESM : Exploring tipping points and their impacts using Earth System Models
Les points de bascule (tipping points) sont des seuils critiques dans le système climatique où de petits changements peuvent engendrer des changements d’états de certains sous-systèmes, possiblement de manière irréversible. Les éléments du système climatique terrestre suspectés de pouvoir « basculer » sont notamment les calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et du Groenland, les récifs coralliens, la fonte du pergélisol ou encore la circulation océanique de grande échelle. De telles bascules pourraient avoir des conséquences graves, voire catastrophiques, pour les écosystèmes, la biodiversité et la société. Si l’on ajoute à cela les recherches récentes qui suggèrent que les points de bascule du système terrestre peuvent être atteints plus tôt qu’on ne le pensait, il est nécessaire pour les sociétés et les décideurs politiques de disposer d’une connaissance solide de ces points de bascule et de leurs incidences potentielles.
Le projet TipESM vise à mieux comprendre les points de bascule du système terrestre, y compris leurs impacts sur les écosystèmes et la société, et de disposer d’un ensemble d’indicateurs d’alerte précoce et de voies d’émissions sûres qui minimisent le risque de dépassement de ces points de bascule. Pour cela, le projet rassemble des scientifiques issus de diverses disciplines afin d’apporter de nouvelles connaissances sur six défis clés liés aux points de bascule :
- Simulation des points de bascule dans le système terrestre à l’aide de la dernière génération de modèles du système terrestre
- Nouvelles connaissances sur les points de bascule climatiques et leurs processus moteurs
- Indicateurs d’alerte précoce et risque de cascades de points de bascule dans le climat et les écosystèmes
- Identification des points de bascule des écosystèmes et de la société induits par le changement climatique
- Nouvelles connaissances sur les incidences des événements de bascule climatique sur les écosystèmes et la société
- Synthèse des risques de basculement basée sur les modèles les plus récents, contraints par des observations du monde réel
- Evaluation d’ensemble de voies d’émissions sûres qui minimise le risque de franchissement des points de bascule
Le projet TipESM rassemble une équipe diversifiée de scientifiques issus de plus de 15 organisations différentes. TipESM est un projet financé par le programme de financement Horizon Europe de l’Union Européenne. Le projet a débuté le 1er janvier 2024 et se poursuivra jusqu’au 31 décembre 2027. TipESM est coordonné par l’Institut météorologique danois avec le Dr. Shuting Yang (sy@dmi.dk) comme coordinateur du projet.
Dans la communauté française, le projet rassemble des chercheurs de l’IPSL (LOCEAN, LMD, LSCE) et de du laboratoire EPOC de l’Université de Bordeaux.
Juliette Mignot1 et Didier Swingedouw2
- LOCEAN-IPSL
- Université Bordeaux
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Le projet Impetus4Change (I4C)
Impetus4Change (I4C) est un projet de recherche européen Horizon en lien avec l’adaptation des villes au changement climatique. Il réunit des spécialistes du climat, des villes et des sciences sociales, et se focalise sur un petit nombre de démonstrateurs urbains (Bergen, Barcelone, Prague, Paris), dans une approche de co-construction de services climatiques en collaboration avec des acteurs locaux et en lien avec les enjeux propres à chaque ville.
Les villes doivent engager de façon pressante des efforts d’adaptation au changement climatique, ce qui demande une information climatique adaptée. Fournir cette information représente un challenge majeur pour les sciences du climat et les services climatiques. Le principal objectif du projet Impetus4Change est d’améliorer la qualité, l’accessibilité et l’exploitabilité de ces données.
Pour caractériser les impacts du changement climatique sur les villes, étape préalable nécessaire au développement de politiques d’adaptation, des données climatiques à très fine échelle spatiale sont généralement nécessaires.
Les modèles climatiques régionaux à convection profonde résolue [Coppola et al., 2020] (Convection-Permitting Regional Climate Model, CP-RCM en anglais) permettent aujourd’hui d’atteindre des résolutions kilométriques. À condition d’intégrer une représentation détaillée des villes, ce sont des outils prometteurs pour répondre aux besoins en données des acteurs urbains pour guider l’adaptation des villes au changement climatique. Néanmoins, le coût de calcul particulièrement élevé des CP-RCM limite fortement le nombre et la longueur des simulations réalisables. Ils ne permettent donc pas à l’heure actuelle de caractériser correctement les incertitudes en jeu, celles dues à la variabilité interne climatique par exemple.
Face à ces limites, Impetus4Change propose une approche nouvelle. Elle repose sur (1) le développement d’émulateurs de CP-RCM [Doury et al., 2023, 2024 ; Boé et al., 2023] grâce au machine learning, et (2) la réalisation d’un jeu minimal de projections climatiques avec des CP-RCM, dont l’objectif premier est l’apprentissage de ces émulateurs. Ces émulateurs doivent ensuite permettre d’obtenir à moindre coût numérique de grands ensembles de données présentant les caractéristiques de projections de CP-RCM (e.g. Figure 1), rendant ainsi possible l’exploration et la caractérisation correcte des incertitudes en jeu.
Dans un contexte de prise de décision pour l’adaptation des villes au changement climatique, un autre challenge important est de pouvoir fournir des informations climatiques pertinentes sur les deux ou trois prochaines décennies.
Pour cela, les prévisions décennales peuvent être un outil intéressant. Initialisées à partir d’états océaniques observés ou réanalysés, ces simulations visent à reproduire une partie des fluctuations climatiques internes, en plus du signal climatique forcé [Cassou et Mignot, 2013].
Leur apport par rapport aux projections climatiques classiques est cependant faible au-delà de quelques années [Marotzke et al. 2016; Yeager et al., 2018], et ces prévisions sont en général limitées aux 5 ou 10 prochaines années. De plus, le choc d’initialisation induit une dérive des prévisions décennales [Sanchez-Gomez et al., 2016]. Or il est compliqué de corriger cette dérive pour des variables à haute fréquence temporelle (journalière ou infra-journalière), dont on a généralement besoin pour étudier les impacts du changement climatique.
Des travaux sont donc menés dans Impetus4Change pour améliorer ces prévisions décennales. En parallèle, Impetus4Change travaille sur de nouvelles approches, dites de « blending », visant à combiner de façon optimale l’information issue des prévisions décennales et des projections climatiques classiques pour les 20 ou 30 prochaines années. Ces approches doivent permettre d’obtenir toutes les variables climatiques à haute fréquence temporelle nécessaires aux émulateurs de CP-RCM développés dans le projet. Ces données doivent en outre ne pas présenter de dérive, et être continues, sans discontinuité statistique entre le début de la période, où les prévisions décennales fournissent une information climatique pertinente, et la fin de la période, où l’information climatique provient uniquement des projections classiques.
Le projet Impetus4Change présente des liens thématiques forts avec le programme TRACCS, et notamment son projet ciblé 10 « LOCALISING » dont l’objectif est de développer les outils et les méthodes nécessaires pour fournir une information climatique pertinente à l’échelle kilométrique.
Julien Boé1, Rémy Bonnet1, Cécile Caillaud2, Antoine Doury2, Aude Lemonsu2, Samuel Somot2
- CECI, CNRS/CERFACS
- CNRM, Météo France, CNRS
Références
- Boé, J., Mass, A., & Deman, J., 2023, A simple hybrid statistical–dynamical downscaling method for emulating regional climate models over Western Europe. Evaluation, application, and role of added value?. Climate Dynamics, 61, 271–294. DOI: 10.1007/s00382-022-06552-2
- Cassou, C & Mignot, J., 2013, Enjeux, méthodes et fondamentaux de prévisibilité et prévision décennale, La Météorologie, 81, 23-30
- Coppola, E., et al., 2020, A first-of-its-kind multi-model convection permitting ensemble for investigating convective phenomena over Europe and the Mediterranean. Climate Dynamics, 55, 3–34
- Doury, A., et al., 2023, Regional climate model emulator based on deep learning: concept and first evaluation of a novel hybrid downscaling approach. Climate Dynamics, 60, 1751–1779
- Doury, A., Somot, S. & Gadat, S., 2024, On the suitability of a Convolutional Neural Network based RCM-Emulator for fine spatio-temporal precipitation. Climate Dynamics. https://doi.org/10.1007/s00382-024-07350-8
- Lucas-Picher, P., et al., 2023, Evaluation of the convection-permitting regional climate model CNRM-AROME41t1 over northwestern Europe, Climate Dynamics, 1-29
- Marotzke, J., et al., 2016, Miklip a national research project on decadal climate prediction. Bulletin of the American Meteorological Society, 97(12), 2379–2394. http://dx.doi.org/10.1175/BAMS-D-15-00184.1
- Sanchez-Gomez, E., et al., 2016, Drift dynamics in a coupled model initialized for decadal forecasts. Climate Dynamics, 46, 1819–1840.
- Yeager, S. G., et al., 2018, Predicting near-term changes in the Earth system: A large Ensemble of Initialized Decadal Prediction Simulations Using the Community Earth System Model. Bulletin of the American Meteorological Society, 99(9), 1867–1886. https://doi.org/10.1175/BAMS-D-17-0098.1
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Nouvelles des groupes de travail CLIMERI-France
CLIMERI-Tech : soutenir CMIP7 (mais pas que !)
Le groupe CLIMERI-Tech est composé de huit ingénieurs permanents qui échangent sur tout ce qui touche au cycle de vie des données et aux outils associés (à l’exclusion de la science des modèles) pour soutenir la réalisation de simulations climatiques. A l’approche de la 7ème phase de l’exercice CMIP, cette édition de la E-Lettre est l’occasion d’attirer l’attention sur ce qui va changer (ou pas) dans les prochains mois (ou qui a déjà changé mais est passé inaperçu).
Définition et documentation des expériences et des modèles
La plupart des participants à CMIP se sont sans doute empressé d’oublier ES-DOC (pour Earth System DOCumentation), et nous les comprenons. Heureusement, pour CMIP7, l’étape de documentation des modèles se résumera à une description haut niveau qui ne prendra que quelques heures, mais qui sera obligatoire pour pouvoir distribuer les données sur l’Earth System Grid Federation (ESGF). L’interface est en discussion dans le groupe de travail «Climate Model Documentation» de CMIP7. ES-DOC accueillera une documentation plus détaillée qu’il sera toujours possible de compléter (pour les plus courageux) ou de consulter.
Pour quantifier l’impact écologique des simulations, le WGCM (Working Group on Climate Modelling) a monté un groupe de travail «Carbon Footprint». Il est chargé de définir un ensemble de métriques, inspirées de celles demandées par ENES (European Network for Earth System Modelling) pour CPMIP, permettant de comparer les performances informatiques des modèles et mesurer la consommation énergétique associée aux simulations. Indications sur le contenu et la méthode à venir bientôt !
Configuration des (sorties des) modèles
Le vocabulaire CMIP6 a laissé un souvenir impérissable à tous ceux qui ont, au moins une fois, plongé au cœur des fichiers netCDF, qui nécessitait pour s’en sortir de jongler avec d’innombrables documents, ce qui a conduit à un nombre incalculable d’erreurs. Pour préparer CMIP7 puis CORDEX, l’IPSL et le LLNL (Lawrence Livermore National Laboratory - US) se sont engagés auprès du WGCM à déployer un service de vocabulaire contrôlé qui servira les différents usages (Data Request, errata, contrôle qualité, etc.).
Qui dit nouvel exercice, dit nouvelle demande de données («Data Request», ou DR pour les intimes). Elle est discutée dans le groupe de travail CMIP7 du même nom et une version sera labellisée pour le Fast-Track au printemps 2025. Parmi les nouveautés, une nouvelle interface python (API) simplifiée mais surtout un contenu (en théorie) plus réduit et construit comme un oignon :
- les variables CORE : un nombre limité de variables à sortir obligatoirement (sauf exceptions) pour toutes les expériences (pour plus de détails, c’est par ici).
- les variables HARMONIZED (ou «coordonnées») : organisées autour de cinq grandes thématiques (ESM, atmosphère, océan et glace de mer, surfaces continentales et calottes, impacts et adaptation), réparties en «opportunités» (i.e. «objectifs scientifiques») et classées par priorité, elles sont définies par des groupes d’experts. On y retrouve les demandes spécifiques pour la descente d’échelle et les impacts. Comme les variables CORE, elles répondront aux normes Climate and Forecast (CF) et seront disponibles via l’ESGF.
- les variables UNHARMONIZED («DR maison» pour les adeptes de dr2xml ou «tout le reste» pour les autres) : elles seront gérées par les différents projet d’intercomparaison (MIPs) liés à CMIP avec plus de flexibilité de contenu, en utilisant (ou non) l’infrastructure dédiée et en répondant (ou pas) aux normes CF.
Les utilisateurs devront garder en tête que plus la priorité d’une variable est élevée, plus elle sera disponible. Il est donc important de s’assurer que les données spécifiques nécessaires seront bien produites par les centres de modélisation. Ne pas hésiter à répondre aux sondages qui sont proposés à ce sujet.
Réalisation des simulations
Pas de changement majeur au sein des environnements d’exécution des modèles (ECliS pour le CNRM-Cerfacs et libIGCM pour l’IPSL).
Du côté du couplage, rien de neuf sous le soleil d’OASIS. La prochaine version officielle, OASIS3-MCT_6.0 est prévue dans le cadre du projet COMPACT (PC5) de TRACCS en juillet 2025.
Pour la gestion des entrées-sorties via XIOS, c’est dr2xml qui prendra en charge la spécification de métadonnées liées aux projets et les demandes de données associées. Quant à la question de la compression, rien ne change pour le Fast-Track par rapport à CMIP6 (compression sans perte à un niveau défini par chaque centre). Le passage à de la compression avec perte se discutera plus tard mais le bureau CMIP est preneur de nos retours (si on en a).
Gestion des données
Une fois les données (enfin) produites, arrive la phase de vérification de leur conformité aux normes en vigueur et d’autres détails (comme l’absence de valeurs aberrantes). Faute de moyens il n’y a plus grand chose sur l’étagère pour ces vérifications, ouvrant la voie à des données sur l’ESGF ne répondant qu’imparfaitement (ou pas du tout) aux standards. Heureusement, le Copernicus Climate Change Service a besoin d’un système de contrôle qualité pour les données CMIP et CORDEX distribuées via son Climate Data Store: un financement qui tombe à pic pour des développements coordonnés par l’IPSL. Une première version devrait voir le jour avant le lancement des premières simulations du Fast-Track !
Distribution des données
L’ESGF change d’architecture, avec une scission entre les technologies utilisées outre-Atlantique et en Europe. Il n’y aura plus que deux sites qui donneront accès au catalogue et à l’interface de recherche (Royaume-Uni et Etats-Unis). Tous les autres serveurs seront des serveurs de fichiers simples indexés (“ESGF Data Nodes”). Les utilisateurs ne devraient pas voir la différence (ou presque), mais cela pourra à terme simplifier grandement la détection, la gestion et la notification des erreurs.
Et justement ! Il est d’ores et déjà possible de déclarer un problème sur des données dans l’errata ESGF. Ce type d’information pouvant être sensible, il est important que le groupe de modélisation concerné valide (ou invalide) l’erreur soulevée. Le centre producteur aura 15 jours pour valider, refuser ou modifier l’errata proposée, ou reconduire ce délai. Sans action au cours dudit délai, l’errata sera publiée et visible publiquement sur le service avec une bannière d’avertissement, ce afin d’encourager les groupes à documenter les erreurs remontées par les utilisateurs.
Accès aux données et analyse
La plateforme d’analyse multi-modèles ESPRI fait peau neuve grâce au financement du projet EquipEX+ GAIA-DATA (PIA3). En dehors du renouvellement du stockage (4 Po) et de l’augmentation possible de ce volume (jusqu’à 7 Po), vous pourrez demander la conversion de certains jeux de données en format ZARR. Autre nouveauté à venir en 2025, toujours via GAIA-DATA, les données publiées par le CNRM-CERFACS seront visibles et accessibles dans leur intégralité et via un montage réseau sur ESPRI.
Gaelle Rigoudy1, Marie-Pierre Moine2, Guillaume Levavasseur3, Sophie Valcke2 pour le groupe climeri-tech@listes.ipsl.fr
- CNRM, Météo-France, CNRS
- CECI, CNRS/CERFACS
- IPSL
En savoir plus
- CMIP
- CMIP6
- CMIP7
- Copernicus Climate Change Service
- CORDEX : COordinated Regional Climate Downscaling EXperiment
- EquipEX+ GAIA-DATA
- ESGF : Earth System Grid Federation
- ESM2025
- ESMValTool
- ESPRI
- IPSL : Institut Pierre-Simon Laplace
- LLNL : Lawrence Livermore National Laboratory
- OASIS
- WGCM : Working Group on Climate Modelling
Atlas et post-traitements de simulations climatiques
Dans le processus de développements des modèles de climat et l’analyse des simulations qui en découlent, le chercheur utilise de nombreux logiciels plus ou moins clé en main
- pour qualifier ou évaluer une configuration de modèle (e.g., construire l’atlas d’une simulation),
- pour appliquer des métriques de comparaison aux observations
- pour suivre le déroulé d’une simulation sur un supercalculateur (monitoring),
- pour post-traiter des ensembles de simulations (e.g., dans le cadre d’exercices de tuning basés sur l’analyse d’ensembles à paramètres perturbés), etc.
Ces outils, indispensables, sont aujourd’hui particulièrement divers, tant au niveau national qu’international. En France, plusieurs initiatives ont mené au développement de ce type d’outils : CliMAF1, C-ESM-EP2, CAMI3 , Atlas régional CNRM. A l’international, des briques Python (e.g., Xarray, Pandas) et des logiciels comme CDO4 ou ESMValTool5 sont devenus incontournables.
Début 2021, un groupe de travail s’est formé dans le cadre de CLIMERI-France pour prendre un peu de hauteur et tenter d’esquisser une réflexion stratégique sur ces questions d’outils d’évaluation et de post-traitements des simulations climatiques. Plutôt que de réaliser un n-ième sondage qui souvent fournit une somme de visions peu travaillées, ou d’avoir des réunions de travail avec beaucoup de présentations, la vision de seulement quelques-uns et finalement peu de discussions et de travail sur les idées et les concepts, le choix a été d’expérimenter un format un peu différent. Nous avons conduit des réunions de travail à une quinzaine de personnes, relativement diverses pour représenter les différentes composantes de nos modèles de climat et pour rendre compte des contrastes entre science et technique (e.g., ingénieur vs chercheur). Ces réunions, peu cadrées au départ, ont pris le parti d’identifier et de travailler collectivement les questions sous-jacentes aux problématiques d’atlas et de post-traitement et ainsi de co-construire cette réflexion stratégique. En particulier, les idées préconçues des uns et des autres ont pu être discutées et critiquées. Un enjeu dans ce type d’approche a été de ne pas se perdre en cours de route et de réussir à avoir des réunions avec des conclusions concrètes. Malgré quelques flottements, nous pensons que cette méthode de travail a été positive et fructueuse.
Finalement, trois réunions de travail ont été conduites entre juin 2021 et janvier 2022. Les documents et comptes-rendus sont disponibles sur le site de CLIMERI-France. La première réunion a permis de faire un état des lieux et de partager les visions de chacun, les discuter et les préciser. La seconde a consisté à inventer comment nous souhaitions avancer et à définir une grille d’analyse des outils disponibles. La troisième et dernière nous a fourni un tour d’horizon des outils disponibles et de les analyser selon la grille précédemment définie. Les principales conclusions de ces trois réunions, présentées lors des journées CLIMERI des 3-4 février 2022, sont résumées ci-dessous.
Nous avons vite défini le périmètre de ce que nous souhaitions aborder : les modèles couplés, globaux ou régionaux, réellement dans une vision multi-composantes, multi-modèles et multi-membres ; les problématiques de (i) monitoring, (ii) qualification de versions et d’évaluation (e.g., climatologies, variabilité, comparaisons sur sites), plutôt pour les phases de développement (incluant le tuning), et (iii) post-traitement des simulations permettant d’alimenter la science qui vient après. Le fait de ne pas chercher à aller jusqu’à incorporer l’analyse scientifique fine a été largement partagé.
Nous avons ensuite reconnu que le sujet est complexe et qu’il était nécessaire de se libérer de certaines croyances : « c’est simple, il suffit de développer un outil à un instant donné et advienne que pourra », « c’est simple, on peut trouver une solution couvrant tous nos besoins », ou « on ne fait pas ce qu’il faut ». L’adoption d’un outil requiert souvent le besoin d’une expertise technique et scientifique pour le comprendre, et le faire évoluer pour ses propres besoins. Ce qui fait largement écho à la multitude d’outils développés au fil de l’eau, mais multitude qui limite fortement leur pérennisation. Nous avons aussi noté que l’ajout de contraintes sur un outil est généralement non linéaire au sens des ressources humaines, et que l’outil qui fait tout est la plupart du temps fragile : usine à gaz, difficultés de co-développement, etc. Par ailleurs, sur ce type d’outil, si une brique tombe, tout peut tomber. Ceci implique d’identifier des briques de base particulièrement robustes, techniquement mais aussi en termes de support humain et de formation. La conclusion principale est que la diversité n’est pas nécessairement une mauvaise chose : l’expertise scientifique et technique est diverse et dispersée, et comme les initiatives sont nombreuses, on aurait tort de ne pas en profiter. A partir de là, une approche multi-outils, patchwork, semble raisonnable : elle permet de penser la complémentarité des outils, tant en termes de science que de technique. L’enjeu est l’assemblage de ce que fournissent ces outils, d’identifier ces briques de bases, et de caractériser l’investissement, collectif notamment, sur chacune d’entre elles.
L’approche patchwork pourrait alors prendre la forme d’une organisation par diagnostics plutôt que par composantes : monitoring, multi-atlas, variabilité, analyse sur site, métriques synthétiques, etc. En termes d’outils, il nous a semblé important d’avoir des ambitions raisonnables, cohérentes avec les moyens humains disponibles. L’équilibre entre développements, efforts de maintenance et de portage, documentation et formation est critique. Certaines briques peuvent être développées en interne, ou au contraire bénéficier d’initiatives à l’international. La mise en forme du patchwork est à penser, afin de capitaliser l’expérience acquise par certaines personnes, de penser une éventuelle mutualisation, et assurer la flexibilité nécessaire à une approche multi-composantes et multi-modèles. Nous nous sommes plus spécifiquement questionnés sur l’investissement et le maintien des outils « nationaux » CliMAF et de ses surcouches C-ESM-EP et l’atlas régional du CNRM, notamment en lien avec la montée en puissance de ESMValTool. Difficile de converger vers des conclusions fortes si ce n’est que ces outils remplissent un rôle important dans différentes équipes, mais disposent de ressources humaines relativement limitées.
Le groupe de travail CLIMERI sur les atlas et post-traitements de simulations climatiques s’est arrêté en 2022 sur ces conclusions. La réflexion n’est pour autant pas terminée et plusieurs questions supplémentaires et importantes ont été identifiées. La problématique des infrastructures et de l’environnement informatique est indissociable des outils pour assurer leur fonctionnement, leur efficacité et leur partage. Une mutualisation nationale des bonnes pratiques pourrait être bénéfique. Les observations sont essentielles dans le processus d’évaluation, mais ce n’est pas toujours simple d’identifier les plus pertinentes, de caractériser leurs incertitudes. Un besoin d’échanges en amont sur le travail scientifique et technique menant à la construction de ces jeux de données de référence s’est fait ressentir. CLIMERI-France peut fournir un cadre pour aller plus loin. Enfin, la dynamique de travail autour d’outils communs est essentielle. Il y a beaucoup à inventer, notamment sur le dialogue entre ingénieurs et chercheurs, le cadre de co-développements, les types de financement, la gouvernance, etc.
En conclusion, nous encourageons la communauté CLIMERI-France à se saisir des réflexions qui ont été menées dans ce groupe de travail sur les atlas et post-traitements de simulations climatiques, et à les poursuivre dans un nouveau cadre à définir.
1 Climate Model Assessment Framework
2 CliMAF Earth System Model Evaluation Platform
3 Climate Atlas Model Intercomparison
4 Climate Data Operators
5 Earth System Model eValuation Tool
Romain Roehrig1, et Frédéric Hourdin2 pour le groupe de travail CLIMERI-France sur les atlas et post-traitements de simulations climatiques (liste complète des participants disponible ici)
- CNRM, Météo-France, CNRS
- LMD-IPSL
En savoir plus
- Groupe de travail Atlas et post-traitements de simulations climatiques
- CR réunion 1 (30/06/2021) : https://sdrive.cnrs.fr/s/sD97HB2EyGbRk4o
- CR réunion 2 (27/09/2021) : https://sdrive.cnrs.fr/s/qypyNMyMPYR2ETe
- CR réunion 3 (07/01/2022) : https://sdrive.cnrs.fr/s/GeaAQYRGJ5PF2qk
- Réunion 3, présentations des outils : https://sdrive.cnrs.fr/s/mJTGwt5QbJaJXz8
- Point d’avancement : https://sdrive.cnrs.fr/s/jB5BSdzmGBmxYgL
- C-ESM-EP
- CliMAF
- Climate Data Operators (CDO)
- ESMValTool
- Pandas
- Xarray documentation